À l’heure de la réconciliation
Les systèmes juridiques autochtones seront désormais enseignés de manière obligatoire à la faculté de droit de l'Université de Montréal.
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Les nouveaux étudiants en droit de l’Université de Montréal ont droit à un baccalauréat renouvelé depuis la rentrée 2022. Des changements pour mettre la formation juridique au diapason des nouvelles réalités de la profession. Et surtout, l’inclusion d’une formation obligatoire aux réalités et traditions juridiques autochtones.
Karine Millaire ne tient plus en place. Cette professeure en droits et libertés s’est vu confier la tâche de construire de zéro une formation qui s’adressera à tous les étudiants en droit dès l’hiver prochain. Le premier programme du genre dans une faculté francophone du Québec.
« Ce n’est pas banal », souligne la professeure Millaire. « En matière de décolonisation, ça reste que quand c’est pour un groupe d’étudiants qui sont déjà intéressés, ou déjà au fait des dynamiques de préjugés, c’est une chose. Mais lorsqu’on veut briser ces préjugés, cette façon de voir les choses qui met toujours le droit qui vient des communautés comme pas du vrai droit. »
Une telle formation à grande échelle est en fait une déclinaison de l’appel à l’action 27 de la Commission de vérité et réconciliation. Le principe est d’inclure l’enseignement des réalités autochtones aux différents corpus pédagogiques du pays. En matière juridique, il s’agit donc d’enseigner des traditions juridiques inconnues de la majorité, mais toujours bel et bien vivantes dans les communautés du pays.
« Il y a plusieurs objectifs. Penser la normativité juridique autrement. On peut aller l’observer sur le terrain aussi. Il y a des communautés qui peuvent faire leur propre droit », explique Karine Millaire.
C’est un gros contrat. Seulement deux crédits seront accordés à cette formation pour les 400 étudiants de la cohorte 2022. « C’est assez vaste comme sujet. Une bonne partie de l’évaluation va être fondée sur du travail en équipe sur des enjeux contemporains. Ça va les amener à remettre en cause les questions de normativité », avance la professeure.
Karine Millaire est convaincue que malgré le temps limité de la formation, beaucoup pourra être transmis aux futurs juristes.
« C’est l’objectif du cours. Qu’on pense les solutions comme pouvant venir des communautés. Que ce soit possible cette cohabitation normative. On le voit au-delà du contexte autochtone », explique Me Millaire. « Les solutions peuvent venir des communautés elles-mêmes. »
« J’enseigne le droit constitutionnel, incluant le droit autochtone. C’est de cette façon-là qu'on voulait le penser. Un cours de fondements du droit », résume-t-elle.
La doyenne France Houle renchérit, en y voyant là une occasion de travailler à la réconciliation. « L’idée n’est pas tellement d’étudier la jurisprudence de la Cour suprême, mais plutôt d’axer sur les problèmes vécus par les autochtones et les systèmes juridiques autochtones », souligne la doyenne en entrevue.
Il y aura certes des ajustements à faire en cours d’année pour cette première expérience. Karine Millaire est néanmoins convaincue des effets bénéfiques à long terme d’une telle formation. « Le droit est un outil puissant », conclut-elle.
Adapter la formation en droit
L’exercice de renouvellement du baccalauréat en droit de l’Université de Montréal est amorcé depuis 2015, une démarche qui n’avait pas été faite depuis les années 1990. Une réflexion qui avait pour objectif d’actualiser les enseignements pour les adapter aux réalités d’aujourd’hui, entre autres dans la pratique.
« Quand on a parti la réflexion sur la réforme, j’ai créé des comités, dont celui qui portait sur la faculté et ses rapports avec les milieux de pratique. Ce qui ressortait en gros, c’était qu’il fallait améliorer les savoir-être et les savoir-faire. Nos étudiants connaissent le droit, sont très bons pour comprendre les éléments du droit positif, mais ils ont de la difficulté à appliquer le droit sur des questions de faits », souligne la doyenne France Houle.
Pour améliorer la formation, un exercice d’analyse du programme a été effectué de manière à en faire ressortir les lacunes. L’une d’entre elles était la capacité des étudiants de faire interagir le droit avec d’autres sources pour améliorer sa mise en application. « On ne demande pas à nos étudiants d’être des spécialistes dans des domaines autres que le droit, mais on leur demande d’être curieux, d’être capables d’utiliser ces sources de façon correcte, et s’ils ne savent pas comment les utiliser, d’aller poser des questions », conclut la doyenne.