Pelletier : l’atmosphère constitutionnelle canadienne
L’un des grands penseurs du régime constitutionnel canadien est décédé subitement le 30 mars dernier. Notre chroniqueur revient sur des sujets abordés dans sa dernière entrevue, sujets qui tenaient à cœur au constitutionnaliste.
Il manquait d’espace pour traiter de toutes les réflexions de Benoît Pelletier lorsqu’il a accordé une entrevue à ABC National, à l’automne dernier. Les espaces de discussions étaient nombreux avec cet avocat, professeur et ex-politicien. Dans la première chronique portant sur cette entrevue de plus d’une heure menée avec lui, il a été question de l’utilisation de la disposition de dérogation, de l’atmosphère constitutionnelle canadienne actuelle et de la révolution à venir qu’il pressentait en droit canadien.
Il en avait cependant long à dire sur d’autres sujets d’importance qui préoccupent la Cité. Il observait notamment l’Australie, où un mouvement pour l’abolition de la monarchie britannique prend de l’ampleur. En 2021, les citoyens préféraient à 60% un système politique qui se serait débarrassé de la monarchie. En 2023, le pays a retiré les figures royales de ses billets de banque.
« Il n’y pas d’engouement », disait-il, quant à l’abolition de cette institution en sol canadien.
Il ajoutait cependant : « Cela va beaucoup dépendre de la question à savoir s’il y aura un débat en Australie et en Nouvelle-Zélande. S’il y a un débat là-bas, à mon avis, les Canadiens vont vouloir en débattre eux aussi. C’est mon pari. »
Benoît Pelletier tenait néanmoins à mettre la table sur la substance d’un éventuel débat sur la question, voire un référendum national. Selon sa lecture des sondages, une courte majorité de Canadiens seraient en faveur de la rupture du lien monarchique.
Deux choses étaient « certaines » selon lui. « La première, c’est qu’il n’y aurait pas d’économies. Il y a des gens qui veulent l’abolition en se disant qu’on va économiser, mais ils sont dans l’erreur. Je crains que ces gens-là, dans le cadre d’un référendum, votent finalement non sachant qu’il n’y aura pas d’économie réelle », estimait l’ancien ministre.
Le deuxième aspect de la question était qu’il faudrait nécessairement remplacer l’institution de gouverneur général par un président ou une présidente. « La question se poserait alors à savoir quel devrait être le pouvoir de ce président ou cette présidente. Dans notre régime parlementaire, on est mieux de donner des fonctions symboliques », croyait le professeur.
« Ce n’est pas souhaitable, à mon avis », a-t-il ajouté, se disant un « grand partisan » du parlementarisme britannique.
Néanmoins, il estimait que certains arguments pourraient ouvrir des voies de passage à son abolition par référendum. « Je pense que ce qui nuirait plus à la monarchie de la famille royale britannique, c’est [son] passé colonialiste. Ça, ce serait de nature à faire beaucoup de chemin dans le contexte d’un débat politique. »
Le français et la Cour suprême
Au moment de l’entrevue avec ABC National, la Cour suprême du Canada venait d’opposer une fin de non-recevoir à la recommandation du Commissaire aux langues officielles à l’effet qu’il serait bienvenu qu’elle traduise tous les arrêts rendus dans une seule langue officielle avant 1970. Radio-Canada révélait alors que cela concernait environ 6000 décisions datant d’aussi loin que 1877.
La Cour suprême invoquait alors les coûts d’une telle entreprise, de même que l’absence des auteurs originaux des décisions, rendant difficile une traduction optimale.
Toujours nuancé, Benoît Pelletier a mis ses opinions de « juriste » et de « citoyen canadien » dans la balance. « Comme juriste, je me suis adapté à cette situation de jugements strictement en anglais, sans problème. Ça m’a exposé à un vocabulaire », avance-t-il.
« Comme citoyen canadien, cela dit, je suis tellement favorable aux progrès de la langue française que c’est une décision que je déplore », poursuit le juriste, se disant « ambivalent » par rapport à l’enjeu.
Cet amoureux de la langue française ajoutait cependant : « Je me réjouis de la qualité des décisions de la Cour suprême aujourd’hui en français, rédigées dans un français très agréable à lire. »
Pour lui, une bonne idée serait qu’un budget soit alloué par le Parlement pour assurer la traduction des décisions unilingues. « Ce serait un beau geste », disait-il, ne voyant pas, par ailleurs, d’obstacles liés à la séparation des pouvoirs.
Il rappelait que la Cour suprême n’a pas hésité à déclarer toutes les lois manitobaines invalides, et dire qu’elles devaient être adoptées en français au même titre qu’en anglais. Il faisait ainsi référence au renvoi Droits linguistiques au Manitoba, rendu en 1985.
Benoît Pelletier aura été autant un acteur politique d’importance qu’un intellectuel d’envergure sur les questions constitutionnelles canadiennes. Sa contribution a été saluée de partout, y compris à l’Université d’Ottawa, où il enseignait toujours.
Il envisageait une révolution constitutionnelle à venir dans l’ordre juridique canadien, particulièrement quant aux questions autochtones et au fédéralisme coopératif. S’il n’est maintenant plus présent pour y contribuer, ils sont nombreux à croire que sa pensée percolera encore longtemps au pays.