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Au coeur des batailles linguistiques

S’il conserve sa force d’indignation, l’avocat Ronald Caza ne manque pas non plus d’optimisme.

Ronald Caza

En entrevue, le juriste connu chez les Franco-ontariens pour sa défense de leurs droits linguistiques ne cache ni l’une, ni l’autre. 

Il a été au cœur de la bataille judiciaire et politique pour sauver l’hôpital Montfort, seul hôpital francophone d’Ontario, à la fin des années 90. Encore aujourd’hui, il constate les effets de cette croisade dans la relation des Franco-ontariens avec leurs institutions. 

« À partir de ce moment-là, la relation avec le gouvernement s’est transformée de façon incroyable, dit-il. Il y a maintenant une acceptation de l’obligation claire et non équivoque qu’un gouvernement ne peut pas prendre des décisions qui vont avoir pour impact de décourager les minorités linguistiques de faire les efforts pour préserver leur langue et leur culture. »

Les défis existent encore, selon lui, mais les revendications des francophones trouvent une meilleure écoute dans les institutions publiques. « On a toujours réglé [nos litiges depuis Montfort], presque toujours. […] C’est une transformation qui est essentielle », indique celui qui pratique en litige civil et commercial dans le cabinet qui porte son nom, Caza Saikaley.

Pour Caza, l’assimilation est faite, entre autres, de petites choses. Encore récemment, il réagissait dans les médias à une communication unilingue qui avait été envoyée à de nombreux résidents d’Ottawa par la Société canadienne d’hypothèque et de logement. « Pour un membre de minorité linguistique, le résultat direct [de ce genre d’épisode] c’est l’assimilation », lance-t-il en entrevue.

Ce ne sont plus, de nos jours, des luttes épiques comme celles de Montfort, mais il craint toutefois le revers de la médaille : la démobilisation. Celle de ceux qui pourraient se décourager, justement, des petites batailles du quotidien.  

« Aujourd’hui, parce qu’on n’a pas les grosses batailles où on doit monter aux barricades pour défendre nos droits comme l'hôpital Monfort, c'est plus facile d'oublier qu'on doit faire des efforts pour continuer à préserver notre langue et notre culture. »

Des épisodes troublants

L’avocat s’anime lorsqu’on aborde le respect des droits des francophones devant les tribunaux. L’exemple de cette femme francophone victime d’agression sexuelle qui a vu le procès de son agresseur annulé en 2019 en raison de l’absence de traducteur au palais de justice de Sault-Sainte-Marie, en Ontario, le trouble énormément. Cet épisode a fait l’objet d’une vaste enquête sur l’arrêt Jordan menée par le journaliste Alain Gravel, de Radio-Canada, en mars dernier. 

« S’il n’y a pas d’interprète pour un francophone en Ontario, c’est comme si les portes du palais de justice n’avaient pas été déverrouillées [pour lui] ce matin-là », se désole Ronald Caza.

Il estime qu’une telle situation entraîne un « tort irréparable », non seulement pour la victime, mais la communauté tout entière.  

« D’apprendre que si je suis agressé sexuellement, mon agresseur pourra être libéré parce que la cour n’était pas en mesure de m’entendre, parce que je suis francophone, envoie le message suivant à tous les francophones de l’Ontario : “Malheureusement, ça ne vaut pas la peine de continuer à faire les efforts qui s’imposent pour préserver notre langue […] », s’indigne l’avocat.

C-13 : une réforme attendue

Ronald Caza espère vivement que le projet de loi C-13 portant sur la réforme de la Loi sur les langues officielles soit adopté le plus rapidement possible. Il revient sur la notion de torts irréparables. Les retards dans son adoption pourraient avoir des effets délétères, selon lui. 

« Pour le moment, la situation qui perdure est insoutenable pour les francophones qui attendent avec impatience l’adoption du projet de loi C-13 par le Parlement », avançait-il dans le quotidien Le Devoir en novembre dernier aux côtés de l’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache.  

« Tous les délais causent des torts irréparables [aux communautés francophones] parce que le mordant qui est ajouté à la loi va permettre au Commissariat [aux langues officielles] et à nos communautés de prendre des mesures pour améliorer notre situation. Mais on ne peut pas le faire avant que la loi soit adoptée », plaide-t-il. Il se réjouit des pouvoirs additionnels que se verrait confier le Commissaire aux langues officielles, notamment en matière d’enquêtes et de sanctions. 

Entre indignation et optimisme, Ronald Caza intime à ses pairs de demeurer vigilants. « On a connu de gros succès. Maintenant, on a une nouvelle réalité. Même si on n’est plus aussi vulnérable que dans le passé, […] il ne faut pas baisser les bras. Tu ne veux pas mourir à petit feu. Il faut que notre fierté en tant que membres de communautés linguistiques puisse s’exprimer de plus en plus, et que les membres soient encouragés à continuer à faire les efforts », conclut l’avocat.