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Les chasses aux sorcières

La diabolisation des femmes demeure un phénomène préoccupant.

Traditional Medicine Marketplace in Johannesburg

Distraitement, je me suis mis à feuilleter ce rapport de l’ONU que lisait la tendre moitié pour un cours de maîtrise. Son titre : « Report of the Independent Expert on the enjoyment of human rights by persons with albinism on the expert workshop on witchcraft and human rights ».

À notre époque, on use souvent de l’expression « chasses aux sorcières » en ne référant que très rarement à un phénomène qui existe encore aujourd’hui dans son sens littéral.

Ce phénomène, c’est l’ostracisation de ces femmes que l’on nomme encore « sorcières » dans plusieurs pays du monde, car on a peur de la différence.

Il existait jusqu’à tout récemment dans la législation canadienne. Par le projet de loi C-51, passé en 2018, le Parlement a finalement abrogé l’article 365 du Code criminel, qui se lisait comme suit :

Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque frauduleusement, selon le cas :

a) affecte d’exercer ou d’employer quelque magie, sorcellerie, enchantement ou conjuration ;

b) entreprend, moyennant contrepartie, de dire la bonne aventure ;

c) affecte par son habileté dans quelque science occulte ou magique, ou par ses connaissances d’une telle science, de pouvoir découvrir où et comment peut être retrouvée une chose supposée avoir été volée ou perdue.

Très peu de poursuites ont été intentées en vertu de l’article 365, ce qui peut expliquer le caractère désuet de cette disposition. De toute façon, l’article 380 du Code criminel permet déjà de porter des accusations contre une personne qui commet une fraude. Il s’agissait en quelque sorte d’une redite qui gardait en vie une vieille méfiance envers des personnes présumées bizarres et maléfiques.

Les accusations de sorcellerie visent particulièrement les femmes : elles ont pour objectif de les déshumaniser, afin de les exclure de leur milieu. Ce contrôle occasionne des blessures chez ces femmes, souvent victimes de violences physique et psychologique. Les accusations de sorcellerie ont toujours eu pour objectif d’ostraciser des groupes marginalisés.

Sur le plan mondial, la situation demeure préoccupante.

Encore en 2020, des femmes se sont vues aliéner leur droit de propriété sous le couvert d’accusations de sorcellerie.

En Afrique du Sud, des femmes agricultrices sont victimes de violences et de féminicides. Des groupes de jeunes hommes sans emploi identifient une femme comme sorcière, afin de prendre possession de sa demeure. La compétition pour obtenir le droit de propriété n’est pas liée au domicile en tant que tel, mais bien au fait que ces jeunes hommes envient le travail de ces femmes qui contribuent à l’économie de leur communauté. Ainsi, cette territorialisation liée au droit de propriété, opérée par des jeunes hommes, place ces derniers dans une relation d’autorité violente envers ces femmes sud-africaines.

Tout comme l’Afrique du Sud, le nord du Ghana est une région où l’on constate une résurgence des actes commis au nom de soupçons de sorcelleries. Les femmes sont ainsi forcées de quitter leur domicile pour des camps de réfugiés que l’on nomme camps de sorcières dans des conditions dégradantes. De plus, ces femmes ne peuvent retourner auprès de leurs familles, puisqu’elles veulent éviter les représailles des membres de leur communauté. On les perçoit donc comme des citoyennes de « seconde classe », puisqu’elles véhiculent, aux yeux de leur entourage, nombre de malheurs et de maux.

En 2018, les Nations Unies se sont penchées sur l’enjeu par l’entremise d’un rapport sur les manifestations liées à la sorcellerie. On y confirme les violations flagrantes des droits de la personne, et la difficulté des États à répondre de manière globale aux besoins des victimes. On y note surtout la difficulté d’établir une collaboration durable avec les communautés sud-africaines.

Surtout, le problème est à aborder avec une grande délicatesse. Il s’agit d’enjeux mêlant croyances populaires, des intérêts économiques et des sentiments antiféministes qui perdurent. Un cocktail explosif, dont des milliers de femmes continuent à faire les frais encore aujourd’hui.