Soutenir des véhicules plus verts : la meilleure carte climatique du Canada
Avec un marché de l’auto environ de la même taille que celui de la Californie, le Canada pourrait faire pencher la balance dans la lutte sur les seuils d’émissions des véhicules routiers.
Dans la plupart des régions du Canada, on pense souvent à tort que nos émissions de gaz à effet de serre (GES) sont négligeables – du moins en termes absolus – et par conséquent, prendre des mesures concrètes pour les réduire est à la fois coûteux et insensé. Mais comme l'a souligné Brendan Frank à la Commission de l'écofiscalité, avec 1,6% des émissions mondiales, le Canada fait partie des dix plus grands émetteurs mondiaux en termes absolus et détient même le titre peu enviable du plus grand émetteur par habitant. En d’autres termes, « nous apportons une contribution démesurée au problème ».
Heureusement, l’examen en cours du Canada du Règlement sur les émissions de gaz à effet de serre des automobiles à passagers et des camions légers offre une occasion de faire une contribution extraordinaire à la solution – solution qui n’est pas affectée par l’incertitude constitutionnelle liée à la tarification du carbone ou à l’opposition aux pipelines interprovinciaux.
L’histoire qui nous intéresse débute en décembre 2016. Deux groupes, l’Alliance of Automobile Manufacturers et l’Association of Global Automakers, ont fait parvenir une lettre à Scott Pruitt, alors le nouveau dirigeant de l’Agence américaine de la protection environnementale (APE), demandant qu’il reconsidère ce qu’elles ont décrit comme des normes « strictes » d’efficacité énergétique pour les automobiles et les camions légers mis en œuvre sous l’administration de Barack Obama. Cette reconsidération a été formellement lancée au printemps 2018, et il est immédiatement devenu clair que l’administration Trump s’était engagée dans une bataille.
Comme l’ont souligné Ann Annie Bérubé et Isabelle Turcotte, la Californie et 15 autres États, ainsi que Washington D.C., ont le droit de définir leurs propres normes d'émissions en vertu d'une dérogation accordée par l'article 177 du Clean Air Act – et ces juridictions ont toutes affirmé leur intention de conserver les normes actuelles. Ils ont même intenté un recours contre l'administration Trump pour avoir tenté de les assouplir. Ensemble, ces États et territoires représentent environ 48% des ventes d’automobiles américaines. L’administration Trump, sous la pression du secteur de l’automobile, a donc été contrainte de tenter de négocier un compromis, mais ces pourparlers semblent être dans l’impasse depuis le mois dernier.
Au Canada, le gouvernement fédéral a publié un document de discussion en août 2018 dans lequel il a lancé sa propre évaluation de mi-mandat des normes sur les voitures et les camions légers, qui avaient été finalisées en 2010 et sont alignées sur celles de l’administration Obama. Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a notamment posé la question de savoir dans quelle mesure le réexamen en cours aux États-Unis devrait avoir une influence sur l’exercice canadien, compte tenu de la nature intégrée de l’industrie nord-américaine.
La semaine dernière, ECCC a publié un résumé des commentaires reçus. De manière générale, l'industrie automobile a exhorté le Canada à ne pas se prononcer sur l'évaluation de mi-mandat avant la conclusion du processus de réglementation en cours aux États-Unis. La logique de ce discours est que si l'EPA impose un seuil inférieur, le Canada est un marché trop petit pour maintenir des normes plus strictes. Cette hypothèse, toutefois, repose sur une victoire sur la Californie et ses alliés.
La vaste majorité des observations du public, cependant, étaient favorables au maintien ou à l’augmentation des normes canadiennes, un résultat cohérent considérant les résultats d’un sondage récent commandé par Clean Energy Canada, et selon lequel 64% des Canadiens préféreraient que les véhicules électriques prennent dans l’avenir le relais des véhicules à essence.
Cette dynamique place à mon avis le Canada dans une position relativement unique pour faire pencher la balance dans la lutte nord-américaine pour les normes d’émission des véhicules. Avec un peu plus de 2 millions de ventes en 2017, le marché canadien de l’automobile est d’environ la même taille que celui de la Californie. Si le Canada s'alignait maintenant avec le Golden State et ses alliés, cela serait peut-être suffisant pour forcer les constructeurs automobiles et l'APE à renoncer à la réduction proposée.
Les enjeux sont importants. Au Canada, ECCC estime qu’en vertu des normes actuelles, les émissions annuelles de GES en 2030 devraient être inférieures d’environ 7 millions de tonnes. Mais l'impact du maintien de ces seuils devient vraiment important lorsque l'on regarde les États-Unis. Selon plusieurs analyses, la norme plus faible proposée par l'EPA ferait en sorte que « les voitures et les camions américains émettraient de 321 à 931 millions de tonnes métriques supplémentaires de dioxyde de carbone dans l'atmosphère d'ici à 2035 », et pourrait même atteindre jusqu’à 1,25 milliard de tonnes métriques.
Pour mettre ces données en perspective, les sables bitumineux de l’Alberta émettent actuellement environ 70 millions de tonnes métriques par an, avec un plafond annuel d’émissions proposé dans le Plan de leadership pour le climat de l’Alberta de 100 millions de tonnes métriques. La différence entre les normes actuelles et celles proposées dans le domaine des véhicules routiers pourrait donc être équivalente à une décennie d'émissions dans les sables bitumineux.
Avec la publication du budget 2019, le gouvernement fédéral a manifesté sa volonté de soutenir les véhicules plus écologiques. Les Canadiens préoccupés par les changements climatiques, en particulier ceux de la Colombie-Britannique et du Québec, devraient en prendre note et faire entendre leur point de vue.
Les opinions exprimées ci-haut sont celles de l’auteur.