Le droit de la famille est à un point de rupture au Canada
De graves problèmes structurels persistent dans la manière dont notre système de justice gère les conflits familiaux. Le temps est venu d’envisager une réforme complète.
Le droit de la famille est à un point de rupture au Canada. Malgré les efforts de réformes déployés jusqu’ici, la confiance du public est à un creux historique, le nombre de justiciables qui ne sont pas représentés par un avocat augmente constamment et des pointent vers une tendance inquiétante où des gens choisissent de délaisser totalement le système plutôt que de se prévaloir des possibilités de recours auxquels ils pourraient avoir droit. Le temps est venu pour adopter de nouvelles manières de voir les choses et ce qui pourrait être fait. L’une des solutions potentielles est une réforme complète du système, incluant de permettre à une plus grande diversité de professionnels d’y prendre part. Le temps est venu de mener un examen critique de toutes les alternatives potentielles, peu importe si elles peuvent paraître improbable, et prenant nos distances de la tendance naturelle de se tourner vers ce qui est familier.
Dans certaines juridictions, jusqu'à 80 % des justiciables entrent dans le système des tribunaux de la famille sans l'aide d'un avocat. Pour la plupart, ce n’est pas un choix, mais une nécessité. Les honoraires élevés placent les avocats hors de portée pour un nombre croissant de Canadiens aux revenus moyens, qui doivent ensuite surmonter le défi d’un système judiciaire complexe. Dans certaines régions du pays, il n’y a pas assez d’avocats spécialisés en droit de la famille pour répondre aux besoins de ceux qui pourraient être en mesure de payer leurs services.
La nature accusatoire de notre système de justice complique les choses encore davantage. Ce qui peut être tout à fait logique lorsque nous traitons des différends entre actionnaires ou de parties impliquées dans un accident automobile peut devenir toxique pour des parents qui doivent maintenir une relation productive pour le bien de leurs enfants. En règle générale, ni le barreau ni la magistrature ne sont très familiers avec les implications psychosociales d’une restructuration familiale, par exemple. Nous ne sommes pas non plus particulièrement bien équipés pour traiter de manière efficace des problèmes délicats tels que la toxicomanie, les troubles de l'attachement ou les allégations de mauvais traitements.
Tout cela nuit à l'efficacité d'un système judiciaire qui est de surcroît chargé de traiter un arriéré de dossiers toujours grandissant. Le manque de connaissance des lois, des règles de procédure et de preuve augmente les délais des procédures. Les données recueillies par le gouvernement fédéral montrent que plus de la moitié des dossiers de divorce de l'Alberta étaient vieux de plus de quatre ans en 2015, et de nombreux avocats ont vécu la singulière expérience de voir grandir les enfants de leurs clients.
Les efforts pour remédier à ces problèmes ont jusqu’ici remporté un succès modeste.
Sur le plan législatif, l’Alberta a été la première province à abandonner les termes conflictuels de la garde et du droit de visite en 2005, en faveur de la présomption de tutelle parentale et d’un langage centré sur l’enfant traitant de « responsabilités parentales » et de « temps parental ». La Colombie-Britannique lui a emboîté le pas en 2013, mettant en outre l’accent sur l'importance des accords et des options de résolution extrajudiciaire des litiges, entre autres. La Nouvelle-Écosse a failli y parvenir en 2017, mais a finalement opté pour le maintien d'un régime incluant la notion de garde. Maintenant, le projet de loi C-78 propose des modifications radicales à la Loi fédérale sur le divorce, qui suivent les voies tracées par l’Alberta et la Colombie-Britannique. Ces propositions élargissent considérablement la liste des facteurs à prendre en compte pour évaluer l'intérêt supérieur de l'enfant.
Entre-temps, des tribunaux unifiés de la famille, établis pour la première fois en Ontario en 1977, se sont répandus dans tout le pays et feront leur entrée en Alberta plus tard cette année. Selon une étude menée en 2006 par l'Institut canadien de recherche sur le droit et la famille, la plupart des médecins de famille qui travaillent dans des régions où les tribunaux sont unifiés affirment que ceux-ci ont simplifié les procédures, qu’ils facilitent l'accès aux services de justice familiale et qu’ils produisent des résultats adaptés aux besoins individuels. De plus, les tribunaux du Canada, qu'ils soient unifiés ou généralistes, mettent en œuvre des programmes d'intervention précoce destinés à réduire les conflits et à identifier des possibilités de règlement.
Pourquoi, alors, les problèmes systémiques persistent-ils?
Cela ne commence pas nécessairement avec les honoraires des avocats. Certes, les avocats coûtent cher, mais contrairement à l’opinion trop commune voulant que les avocats favorisent les conflits pour en profiter eux-mêmes, la plupart des avocats spécialisés en droit de la famille préfèrent parvenir à un règlement éclairé et rationnel plutôt que de poursuivre une action en justice, peu importe la rémunération. Le coût des avocats résulte en grande partie du coût important de la pratique. Les cotisations au barreau sont composées des primes d’assurance et autres contributions. Le coût des locaux commerciaux dépasse généralement le coût du logement d'une famille, auquel il faut ajouter le coût de la dotation en personnel, de la comptabilité et des services informatiques. La pratique du droit coûte cher, et la plupart des avocats en droit de la famille gagnent une fraction de ce que gagnent leurs homologues des grands bureaux.
Si un meilleur financement de l’aide juridique n’est pas à l’horizon – les barreaux à travers le pays ont tenté de faire avancer ce dossier depuis plusieurs années, sans succès – et que la réduction des honoraires des avocats est improbable, que peut-on faire de plus?
Premièrement, nous devrions encourager les avocats en droit de la famille à accepter davantage de travail sur une base de dégroupage. Les détracteurs diront que le dégroupage des services juridiques n’est pas une approche adéquate, qu’elle paie mal et qu’elle engendrera une masse de plaintes au barreau. Toutefois, des preuves indiquent un haut niveau de satisfaction chez les clients et les avocats. Les clients disent que les services dégroupés sont accessibles et plus abordables et les aident à mieux comprendre la loi et leurs options. Les avocats disent à peu près la même chose et soulignent l'amélioration des résultats pour les clients.
Deuxièmement, nous devrions autoriser des personnes autres que les avocats à assister les clients confrontés à des problèmes juridiques, à la fois devant et à l’extérieur des cours. Nous, quelques privilégiés, détenons un monopole sur l’offre des services juridiques. Mais cette offre est souvent incompatible avec la demande. Si nous ne parvenons pas à résoudre ce problème, le gouvernement le fera pour nous. Comme Matthew Peters de McCarthy Tétrault l’a dit lors du Forum sur l’innovation juridique de la Colombie-Britannique en 2018 : « Si nous empêchons l’innovation, nous perdrons notre licence sociale ».
Je soupçonne que c’est la préoccupation qui a motivé le récent assouplissement des positions des barreaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique en ce qui concerne les non-avocats offrant des services juridiques. Le titre de la Legal Professions Act récemment modifiée en Colombie-Britannique – notez la forme plurielle du nom – abonde en ce sens.
Cela ne veut pas dire que des professionnels du droit plus abordables devraient avoir un champ d'exercice égal à celui des avocats. Ils doivent être correctement formés, assurés, réglementés et régis par un code d’éthique. L’étendue de leurs services doit être élaborée avec soin, en consultation avec le gouvernement, la magistrature et le barreau, et doit être adaptée au niveau de formation qu’ils reçoivent.
De plus, nous devons promouvoir vigoureusement le règlement des différends en droit de la famille autrement que par voie judiciaire. Le droit de la famille ne peut plus être traité comme une simple espèce de litige civil soumis aux mêmes règles et principes, malgré sa nature particulière. Nous devons mettre un terme à la situation étrange qui consiste à dépenser la grande majorité de notre budget de justice familiale au soutien du mécanisme de résolution des conflits le moins efficace, le plus chronophage et le plus destructeur pour les familles et les enfants. Une fraction infime de ce financement est consacrée aux conseillers en justice familiale et aux services de médiation et, autant que je sache, rien au financement de la médiation privée ou de l'arbitrage. Il est certain que les fonds publics seraient mieux dépensés pour soutenir des processus centrés sur l’enfant, holistiques et coopératifs dans la mesure du possible, et promouvoir la capacité des membres de la famille à résoudre leurs différends par eux-mêmes.
En fait, nous devrions envisager de retirer complètement les questions de droit de la famille des tribunaux. Il s’agit de différends qui pourraient être transférés dans un système administratif spécialisé offrant une solution à la fois contradictoire et non contradictoire ainsi que des services tels que l’éducation sur la parentalité après la séparation, un soutien pour l’emploi et le logement et des conseils financiers ou de santé mentale. Ce système administratif devrait être interdisciplinaire et viser explicitement à promouvoir le bien-être des enfants, à réduire les conflits et à renforcer la capacité des parents de coopérer les uns avec les autres. Ses règles, politiques et formulaires devraient être rédigés dans un langage simple et adaptés aux besoins uniques des familles et l'ampleur des processus accusatoires devrait aussi être proportionnelle à la situation dans chaque dossier.
Je suis heureux de pratiquer à un moment où des changements sérieux sont en cours. Cependant, je crains que ces efforts, aussi louables soient-ils, risquent de ne pas modifier certains des problèmes structurels qui affectent la justice familiale.
Pourtant, il faut faire quelque chose. Le besoin est urgent et il ne fait que s'aggraver.