Le droit environnemental peut-il être sauvé de la ruine?
Le double objectif de protection de l'environnement et de développement économique a rendu le droit de l'environnement de plus en plus complexe et impuissant. D’où la nécessité d’une transition vers des principes juridiques fondamentaux.
Le droit de l’environnement a souvent été comparé au « droit du cheval », une expression qui décrit la tentative de réunir des domaines hétéroclites en un ensemble juridique cohérent. Sans leur objet commun, les règles qui établissent ce qu’est un pur-sang auraient peu à voir avec celles qui encadrent les soins vétérinaires.
Le droit de l’environnement a vu le jour aux États-Unis vers la fin des années 60, forgé par des stratégies de litige qui s’appuyaient largement sur la révision judiciaire de décisions d’agences gouvernementales. Le but à l’époque était de faire obstacle à des projets indésirables, mais avec le temps, il a mené à un ramassis de règles formelles sans valeurs fondamentales communes. La question maintenant est de savoir quel est l’avenir pour le droit de l’environnement dans sa forme actuelle.
La fonction première du droit de l'environnement est en train de disparaître. La nature exempte de développement humain a disparu, et le droit ne protège plus qu'un résidu non naturel. Les régions les plus éloignées du monde sont touchées par des activités humaines qui transcendent les frontières. La biodiversité est détruite à un rythme tel que nous sommes entrés dans la sixième extinction de masse, un événement cataclysmique à l'échelle géologique. Les changements climatiques atteindront bientôt des seuils au-delà desquels l’écosystème de la planète pourrait devenir fondamentalement inhospitalier pour la vie humaine. Bien souvent, le mieux que le droit de l’environnement peut faire est de proposer des solutions modérées: conservation de l'habitat local, protection d'une espèce, concentrations génériques dans les effluents, conditions de licence ad hoc, interdictions incontestables de certaines substances prouvées toxiques...
En d’autres mots, le droit de l'environnement dans sa forme actuelle est impuissant et mal adapté à l’ampleur du défi.
Son échec à protéger la nature est évident de deux manières. D’abord, le droit de l’environnement a inversé l'approche traditionnelle de la conservation, dans certains cas en endossant la dégradation de l'environnement. Un exemple est la façon dont les règles sur les espèces en péril mènent à l’identification d’espèces en voie d'extinction afin d’en sauver d'autres. Et la corruption de l’idéal de la conservation n’est nulle part plus apparente que dans la promotion de la géoingénierie par l’injection de polluants aérosol dans l’atmosphère pour nous aider à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur les changements climatiques.
Deuxièmement, le principal objectif du droit de l’environnement est de plus en plus de restaurer la qualité de l’environnement en cherchant à réparer les dommages qu’il n’a pas su prévenir au départ. En vertu de la Loi canadienne sur les pêches, le principe de l'absence de perte nette nécessitant une compensation pour la modification ou la destruction de l'habitat du poisson peut être mis en œuvre par la création artificielle de remplacements d'habitats hors site. Mais la tendance générale en matière de perte d'habitat du poisson s'est poursuivie sans relâche. En Alberta, le régime d'assainissement et de remise en état des sites de puits de pétrole et de gaz fait face à un manque à gagner de 100 milliards de dollars qui fait obstacle au nettoyage de dizaines de milliers de puits abandonnés et inactifs. Renforcer les interdictions visant à contrer la dégradation de l'environnement aurait été plus efficace.
Ultimement, le véritable responsable des manquements du droit de l’environnement est le manque de volonté politique. Au Canada, les gouvernements s'attaquent aux problèmes environnementaux en prenant des mesures symboliques à court terme. Mais ils hésitent à intervenir de manière à remédier à la dégradation de l’environnement et à en assurer la durabilité.
Compliquant les choses encore davantage est la tentative de faire cadrer la protection de l’environnement dans les processus de développement ordinaires, par l’entremise de mécanismes tels que la déréglementation, la rationalisation des procédures et des solutions fondées sur le marché. De plus, le pouvoir administratif discrétionnaire d’autorisation de projets ou de réglementation du développement, qui est au cœur du droit canadien de l'environnement, permet généralement au pouvoir exécutif de prendre des décisions qui contournent les objectifs statutaires visant la protection de l'environnement. Lorsque le pouvoir discrétionnaire n’est pas assez large, les contraintes juridiques qui font obstacle développement sont souvent écartées. Au Québec, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a adopté une loi spéciale exemptant une cimenterie de toute évaluation d'impact. Elle est devenue la plus grande émettrice de GES de la province.
Le double objectif de protection de l'environnement et de développement économique, associé à une dépendance croissante à l'égard de la remédiation et de la restauration, a rendu le droit de l'environnement de plus en plus complexe. Il vise depuis longtemps les gains les plus faciles et est maintenant confronté au type de problèmes insolubles générés par cette tendance à prioriser le développement – le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, la pollution invasive du microplastiques, l’eutrophisation des écosystèmes aquatiques, l’exposition généralisée à des perturbateurs endocriniens et à des agents cancérigènes… L'État est en retrait, réticent et incapable de financer, d'appliquer et de faire appliquer de manière adéquate le cadre juridique de plus en plus contraignant et de plus en plus vaste qui pourrait régler ces problèmes environnementaux. Nous nous appuyons sur des solutions de plus en plus coûteuses pour obtenir des rendements qui diminuent constamment, jusqu'à ce que les coûts liés à cette complexité supplémentaire l'emportent finalement sur les avantages attendus.
Confronté à cet accablant constat d’impuissance, le droit de l’environnement semble prendre ses distances du modèle réglementaire tentaculaire pour privilégier des concepts phares. Les plaideurs invoquent les droits garantis par la Charte canadienne pour forcer les gouvernements fédéral et provinciaux à agir contre le changement climatique. Des efforts sont en cours pour étayer des principes fondamentaux tels que la confiance du public, le patrimoine commun et le devoir fiduciaire. La notion d’écologie durable pourrait évoluer vers un principe constitutionnel non écrit liant tribunaux et gouvernements. D'autres appellent à accorder des droits à des éléments naturels tels que des rivières, comme le font déjà certaines juridictions.
Une transition vers des principes juridiques fondamentaux offre des solutions à de nombreux problèmes actuels et nouveaux en droit de l'environnement. De retour aux origines de la discipline, il converge vers les recours juridiques potentiels d’une manière qui restaure le caractère contraignant de la législation environnementale. Cette transition signale une tentative d'inculquer à la discipline des valeurs directrices. Elle tend aussi à s’appuyer sur des règles plus simples et plus résilientes que les systèmes complexes pour faire face aux changements brusques ou aux crises et urgences imprévues. Enfin, elle offre une certaine promesse qu'une absence de volonté politique en ce qui concerne la protection de l'environnement ne restera pas sans réponse.
Peut-être de manière encore plus importante, cette approche forcera un engagement politique au niveau gouvernemental dans l’espoir qu’une élaboration sérieuse et « collaborative de politiques engendrera les changements rapides et systématiques dont nous avons besoin ».