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Legal design: Plus qu’une tendance

Placer l’humain au coeur de l’information juridique est même une nécessité d’affaires.

Brain left and right creativity functions
iStock

« Ça ne dit rien du tout. » « Je trouve ça génial. » Les participants débattent d’un contrat d’assurance néozélandais , exemple de legal design présenté par Me Clément Camion, associé chez En Clair, Service-Conseil.

Tenu dans le cadre d’une conférence organisée par l’ABC-Québec et la SOQUIJ, l’atelier sur le langage clair et le legal design visait à témoigner des défis et des avantages de cette discipline innovatrice, à laquelle l’université Stanford consacre désormais son Legal Design Lab.

Le legal design emprunte à la technologie son concept d’expérience utilisateur (UX) et pige tant dans la rédaction simplifiée que dans le graphisme, en s’appuyant sur les sciences comportementales, pour concevoir des outils et des ressources juridiques optimaux.

Si les banques et les compagnies d’assurance évoluent dans cette direction, parfois en se faisant forcer un peu la main par la réglementation, les avocats en pratique privée et en contentieux demeurent plus sceptiques. « On reste très attachés à la forme traditionnelle des contrats. [Comme avocats], c'est déstabilisant de voir ça », explique Me Camion.

Des organisations qui ont gagné à simplifier

Capita, une compagnie d’assurance australienne, a pourtant épargné 550 000 $ dès la première année après en avoir investi 100 000 $ pour repenser complètement ses 17 formulaires. Plus de compréhension des assurés? Moins de temps passé par les employés en explications et correction des erreurs!

Plus près de nous, la simplification de la lettre-type du Commissaire à la déontologie policière pour demander plus d'informations à la suite d’une plainte a permis de diminuer de 16 % le nombre des appels de plaignants confus.

Au-delà de l’expérience utilisateur ou client améliorée et de la productivité interne, l’impact de placer les besoins de l’utilisateur au coeur de la démarche de communication pourrait se traduire par des employés plus engagés, voire une performance économique supérieure, selon l’index de simplicité développé par l’agence de marketing Siegel & Gale.

« Respecter le flow du lecteur et non la logique du rédacteur »

Me Camion utilise volontiers l’oeuvre Ceci n’est pas une chaise de Yannick Pouliot  pour illustrer que même s’il est théoriquement conçu pour être lu, le document juridique peut être aussi inutilisable qu’une chaise dans laquelle on ne peut s’asseoir. « Parfois, les contenus sont tellement hermétiques que l'utilisateur final a de la difficulté à s’“installer” dedans ».

Par exemple, pour expliquer des options de directives médicales anticipées (directives de fin de vie) au grand public, « demander à l’utilisateur de naviguer le document exige une charge cognitive énorme ». Au lieu de la traditionnelle section « définitions », qui complique la lecture en forçant le va-et-vient, mieux vaut employer directement un langage clair, et fournir au lecteur d’autres informations éclairantes, par exemple le degré d’intrusivité de chaque procédure.

Et qu’en est-il de la clause de confidentialité qu’on retrouve au bas de la signature de la plupart des courriels professionnels des avocats? Si son but est de minimiser les dommages quand on a envoyé par erreur un message confidentiel à la mauvaise personne, pourquoi préfacer cette information importante de lourdes références à la loi et menacer de poursuite la personne même à qui on demande de collaborer? L’avis de confidentialité utilisé par En Clair choisit une autre approche et intègre les meilleures pratiques de sécurité technologique au passage.

Connaître son public cible

Pour s’engager dans une démarche centrée sur l’utilisateur final, il faut d’abord effectuer quelques recherches (motivation, état d'esprit, particularités culturelles, préférences de lecture, limitations cognitives, âge, contexte de lecture, niveau de connaissance du sujet, etc.).

Il faut aussi garder en tête qu’au Québec, 52.3% de la population a un niveau de lecture 1 ou 2. C’est plus que la moitié d’entre nous qui éprouvons de la « difficulté à fonctionner pleinement dans la société d'information qui est la nôtre ».

Les limites cognitives humaines jouent aussi un rôle dans la démarche. « Nous lisons moins de 20 % des contenus auxquels nous sommes exposés. Nous mémorisons moins de 10 % de ce que nous lisons ». Reste donc 2% de réelle rétention. « Le 2 %, il faut qu'il soit clair! »

Dix techniques à essayer pour designer l’ultime contrat

L’aboutissement souhaité d’une démarche de legal design?  Le lecteur a le goût de lire le document, trouve rapidement l’information dont il a besoin, la comprend à la première lecture et se sent considéré.

1. Écrire au “nous” et au “vous”

Le fait de ne pas se réfugier dans l’abstraction de la troisième personne permet de tisser un lien.

2. Arrêter de rédiger en fonction du pire scénario possible

« Est-ce qu'on est en train de garder une clause qui couvre une possibilité qui est arrivée deux, trois fois en 20 ans? évoque Me Camion. Est-ce qu'on ne veut pas gérer ce risque autrement? »

3. Signaler la simplicité

On renforce ainsi le sentiment de compétence du lecteur et sa motivation à lire. Ex. « Notre politique prend moins de 5 minutes à lire, c’est promis. »

4. Expliquer la demande

Cela clarifie les attentes et renforce la légitimité de la demande ou de la norme. Ex. « Si vous ne nous fournissez pas ces documents, nous pourrions devoir rejeter votre plainte ».

5. Respecter le principe de proximité entre les éléments importants

Le fait de conserver les liens entre les idées diminue la charge cognitive nécessaire pour naviguer votre document.

6. Venez-en au fait

Dans les textes juridiques, on a tendance à placer deux, trois références pour amener le sujet avant d’aborder le message principal. Il faut au contraire commencer par le message le plus important. « Nous, juristes, on a appris à skipper [ces mots-écrans], mais pas le lecteur moyen ».

7. L’appel du vide

Prévoyez du blanc dans votre document. « Il faut donner au lecteur la chance d’aérer son attention ».

8. Les longues lignes sont illisibles

Tenez-vous-en à un maximum de 40 à 60  caractères par ligne.

9. Arrêtez de vous justifier (à droite)

Ne pas justifier le paragraphe des deux côtés. La taille inégale des lignes à droite est un repère visuel pour aider le lecteur distrait à retrouver rapidement où il en était, et ainsi à conserver sa motivation. 

10. Faites du chunking

Si votre énumération comprend plus de quatre éléments, faites des sous-énumérations thématiques.