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L’échec des facs

Les facultés de droit devraient être forcées à rendre des comptes pour ce qui est de la préparation des étudiants au marché du travail.

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Dans son essai Failing Law Schools, Brian Tamanaha dresse un réquisitoire accablant contre les facultés de droit américaines, où les étudiants paient des frais de scolarité exorbitants et obtiennent en retour bien peu de choses, à part les initiales « J.D. » et une énorme dette d’études. Pour résumer : les professeurs s’en sortent bien, les étudiants pas. Selon moi, on peut en dire autant au Canada. L’augmentation du financement ne s’est pas traduite par une amélioration des programmes de formation en droit.

Le problème est qu’au cours des 50 dernières années, les fa­cultés de droit canadiennes se sont graduellement éloignées de la profession. Plusieurs doyens déclarent fièrement qu’ils enseignent « le droit », et non pas le « métier d’avocat ». Conclusion, les fa­cultés se transforment en départements d’études juridiques, produisant de futurs professeurs plutôt que de futurs avocats.

Une position naturelle pour les facultés de droit. Elles dé­tien­nent un monopole. Pour exercer le droit, toute personne doit avoir un diplôme en droit. Les étudiants afflueront, peu im­­­porte ce qui sera enseigné : ils y sont bien obligés! Les facultés se soustraient ainsi à leurs responsabilités. Elles peuvent faire ce qui leur plaît.

Pour moi, les facultés constituent la porte d’entrée de la profession et, à ce titre, elles doivent en faire plus pour préparer leurs étudiants au métier d’avocat. Après tout, la grande majorité des étudiants qui paient ces frais de scolarité élevés le font précisément en vue de devenir avocats.

Les étudiants doivent exiger plus. S’ils ne réclament pas une plus grande responsabilité de leurs facultés, rien ne changera. N’acceptez pas la hausse des frais comme une règle. N’acceptez pas le nombre d’inscriptions comme une donnée. Demandez-vous : la qualité de la formation s’est-elle améliorée? Les classes sont-elles plus petites? Les professeurs sont-ils plus engagés?

À Lakehead, nous avons emprunté une autre voie. Nous avons choisi d’être une école professionnelle. Nous avons choisi d’intégrer la formation d’avocat à l’étude du droit, en créant l’Integrated Practice Curriculum, un programme d’études axé sur les compétences et qui mène à un stage de quatre mois.

Nous avons choisi cette voie pour deux raisons principales :

1. C'est une question de bonne pédagogie. Les étu­diants apprennent mieux lorsqu’ils mettent la théorie en pratique. Ils sont ainsi mieux préparés à l’exercice du droit, qui est l’objectif de la plupart de nos étudiants.

2. Nous épargnons temps et argent à nos étudiants. À la fin des trois années de leur licence, en mai, ils obtiennent leur diplôme; en juin, ils peuvent passer leurs examens du Barreau; et en juillet, si tout va bien, ils sont admis au Barreau et peuvent commencer à exercer. Aucun stage ni aucun agrément supplémentaire ne sont requis. Nous assurons la formation à l’intérieur de la Fa­culté, et ce, sans coût supplémentaire pour nos étudiants.

Examinons maintenant les deux principaux contre-arguments. Il y a d’abord l’argument des deux niveaux : on laisse entendre que nos étudiants seront stigmatisés, parce qu’ils n’auront pas eu de stage. Cet argument a été invoqué dans les débats sur la pertinence des stages. On oublie que la position minoritaire, soutenue par bon nombre de conseillers des barreaux, est d’abandonner complètement la formule des stages. Cet argument va en outre à l’encontre de la réalité : les candidats sont évalués sur la base de leur savoir-faire, et non sur la base du fait qu’ils ont fait un stage, ou qu’ils ont fait leur stage à tel endroit, ou qu’ils ont fait le Programme en pratique du droit, ou qu’ils ont obtenu leur diplôme à Lakehead.

Ensuite, il y a l’argument de la perte d’autonomie des facultés de droit. L’establishment des facultés de droit, répétant le mantra de la « liberté académique » (une expression employée à tort et à travers dans le milieu universitaire), déclare qu’il n’est pas prêt à abandonner une part de son autonomie aux barreaux. Il aime faire les choses à sa façon. Quant à nous, nous sommes prêts à travailler avec le Barreau. Devons-nous rendre des comptes au Barreau pour l’Integrated Practice Curriculum? Absolument. Sauf que nous marchons du même pas : nous voulons que nos étu­diants deviennent des avocats compétents. Les deux parties collaborent de bonne foi, et nous n’avons aucune réticence à ce que le Barreau veille à ce que le programme enseigne les compétences nécessaires. Le Barreau n’a aucune envie de se mêler du contenu des cours ou de la façon de l’enseigner. Ce qui l’intéresse, c’est de savoir si la formation atteint ses objectifs. Les autres écoles professionnelles, comme les écoles de médecine, de soins infirmiers ou d’éducation, sont soumises à une réglementation considérable. Elles arrivent à vivre avec elle, et nous ferons de même. Et nous continuerons de défendre notre indépendance là où elle compte vraiment, dans le libre échange des idées juridiques.

Les gens redoutent le changement. C’est une réaction naturelle que de chercher à protéger et maintenir le statu quo. Devant la menace du changement, l’establishment monte aux barricades. Ce changement offre pourtant aussi l’occasion de se réoutiller, de se redynamiser et de se recentrer — de mieux faire les choses, en somme. L’Université Lakehead a su saisir l’occasion fournie par la volonté du Barreau du Haut-Canada de trouver des solutions de rechange aux stages. Notre voie n’est pas la seule voie possible. D’autres facultés pourraient et devraient tracer leur propre voie. Il est tout aussi vrai toutefois que le changement ne se produira que si on le provoque. C’est pourquoi les étudiants en droit doivent exiger plus de leurs fa­cultés — sans quoi c’est le statu quo qui prévaudra.