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Risques professionnels et traumatismes indirects

On peut parfois en voir trop

Depressed woman sitting with head in her hands
Photo : iStock

Ses études en droit n’avaient pas préparé Myrna McCallum à composer avec les traumatismes indirects.

« Ce n’est qu’une fois devenue procureure de la Couronne, et encore plus en tant qu’arbitre dans le processus de réclamations liées aux pensionnats, que j’ai commencé à entrevoir le concept de traumatisme, non seulement sa manifestation chez les clients ou les témoins, mais aussi chez moi. Il m’a fallu consulter un psychologue pour me rendre compte que j’étais victime de traumatismes indirects. »

Me McCallum, d’origine Cris-Métis exerce en Colombie-Britannique. Elle est avocate, enquêteuse et formatrice en milieu de travail et n’est pas la seule à avoir fait face aux traumatismes indirects. Nous savons que la fumée de cigarette peut nuire aux non-fumeurs qui la respirent. Il en va de même pour les expériences traumatisantes qui peuvent nuire aux personnes qui en entendent parler à maintes reprises.

« En tant que juristes, nous devons plus souvent parler des traumatismes et il nous faut avoir des conversations ouvertes sur le fait que nous sommes traumatisés par le travail que nous faisons », dit Me McCallum. « Nous devons commencer à demander la mise en place d’un système de soutien pour les juristes qui traitent des dossiers portant sur des traumatismes. »

Françoise Mathieu, experte en traumatismes qui possède plus de 20 ans d’expérience en tant que professionnelle de la santé mentale, affirme que les traumatismes indirects, parfois dits secondaires, renvoient aux faits auxquels nous sommes exposés indirectement, soit dans le prétoire, soit lorsqu’un client nous relate des faits, ou encore lorsque nous lisons un dossier, ou assistons à une mise en commun des informations avec les médias ou des collègues. « Toutes ces informations indirectement traumatisantes nous collent à la peau et peuvent même parfois altérer notre perception de la sécurité, voire notre sécurité. »

Les « trois signes avant-coureurs majeurs » des traumatismes indirects sont des symptômes physiques, comportementaux et émotionnels, dit madame Mathieu.

« Vous remarquerez que vous repensez à des images ou à des récits difficiles à supporter plus souvent que ce qui serait considéré comme normal », dit-elle.

Elle est codirectrice générale de TEND, une organisation qui fournit des ressources et une formation pour faire face aux besoins complexes générés par des milieux de travail extrêmement stressants et où les personnes sont exposées à des traumatismes. Elle fera l’un des exposés lors de la Conférence de l'ABC sur la santé et le mieux-être de cette année, où elle dirigera une séance intitulée Gérer ce qui reste gravé dans la mémoire : réduire l’impact du traumatisme secondaire dans la profession juridique.

« Certaines personnes font des cauchemars, ou elles commencent à éviter les situations qui leur rappellent ce qu’elles ont entendu. Lorsque la connaissance de ces faits provoque en vous une forte détresse émotionnelle, des attitudes d’évitement importantes ou une perte de sommeil et de l’anxiété, cela devrait être considéré comme des signes avant-coureurs », dit-elle. « Dans ces conditions, nous recommandons d’obtenir une aide plus approfondie et de prendre des mesures. »

Me McCallum dit qu’en y repensant, elle croit qu’un bon nombre de ses homologues qui « avaient recours à l’alcool, au jeu, au sexe, aux drogues et autres » vivaient probablement des traumatismes indirects.

« Je pense que lorsque vous avez travaillé sur un dossier vraiment difficile ou d’une nature très sensible, mieux vaudrait consulter un professionnel de la santé mentale pour savoir si vous vivez des traumatismes indirects ou si cela a déclenché une résurgence de votre passé », dit-elle.

Comment se protéger

Françoise Mathieu a quelques conseils qui permettent aux juristes de se protéger contre les traumatismes indirects.

« L’un des meilleurs moyens de se protéger, c’est le soutien social sur le lieu de travail », dit-elle.

Elle recommande aux juristes de faire des comptes rendus opportuns et efficaces après avoir entendu un récit portant sur une expérience traumatisante ou avoir consulté des documents pouvant causer des traumatismes.

« Certains des besoins de faire des comptes rendus sont très immédiats. Vous ne devriez pas attendre trois semaines pour faire face à quelque chose qui vous a causé beaucoup de stress. Il faut agir sur le champ. »

Les juristes devraient en outre envisager les effets qu’aura un dossier sur leur vie avant de l’accepter, dit Me McCallum, fondatrice de Miyo Pimatisiwin Legal Services, qui propose des conseils juridiques dans les domaines administratif, des droits de la personne et des affaires pénales, ainsi que des services d’enquête en milieu de travail et de consultation.

« Vous devriez procéder à une auto-évaluation et vous demander où vous en êtes dans votre vie, si vous pouvez composer avec ce dossier, si vous êtes vulnérable pour diverses raisons, comme des agressions sexuelles dans votre enfance ou de la violence traumatisante qui vous a été infligée. Vous devez prendre une décision et penser au genre de soutien dont vous aurez besoin tout au long du traitement de ce dossier ou de la réalisation du travail que vous allez faire », dit Me McCallum.

La formation importe, elle aussi, selon madame Mathieu et Me McCallum qui s’accordent sur ce point.

« Je pense que les personnes qui étudient le droit devraient être informées au sujet des traumatismes et des façons de se protéger lorsqu’elles traitent avec des clients traumatisés », dit Me McCallum. « Les juristes spécialisés en droit de la famille ou en droit pénal, ou les personnes qui tranchent des affaires portant sur des sujets très épineux doivent également savoir exactement où se trouvent leurs limites et connaître les façons de se procurer de l’aide en cas de besoin. »

Françoise Mathieu souligne que « la plupart des juristes n’ont aucune formation concernant les traumatismes psychologiques. Nous ne nous attendons pas à ce qu’ils soient des thérapeutes. Cependant, il peut s’avérer très utile de comprendre les raisons qui sous-tendent le comportement de nos clients les plus difficiles. On appelle cela devenir "sensible aux traumatismes" ».

Par exemple, selon madame Mathieu, les données probantes indiquent que les victimes de violence familiale retournent fréquemment auprès de leur conjoint violent entre sept et douze fois avant de le quitter.

« Si vous connaissez les statistiques et les motivations, cela réduira votre degré de frustration lorsque votre client victime d’agressions retournera à la maison pour la quatrième fois, car vous pourrez mettre cette situation en contexte. »

Il importe également que vous preniez soin de votre santé physique et morale, dit madame Mathieu.

Elle recommande d’être à l’écoute de votre corps et de vous demander comment vous vous sentez, comment vous respirez, et si vous avez pris assez de repos.

« Je suis tout à fait convaincue de l’importance du bien-être et de l’équilibre, mais je ne pense pas qu’il suffise de s’affaler sur un tapis de yoga pendant une heure à la fin d’une journée de travail de 12 heures », dit-elle. « Ce qui donne le meilleur résultat, et nous en sommes convaincues, c’est une récupération fondée sur le moment; le fait de réserver des moments pour reprendre pied entre vos rendez-vous, et même pendant vos rendez-vous. »

 Veuillez consulter cette page pour obtenir de plus amples renseignements sur la Conférence de l'ABC sur la santé et le mieux-être qui aura lieu le 6 avril à Ottawa.