Laissez votre secret à la maison
Conseils pratiques pour les juristes qui franchissent les frontières.
Au début mai, la saisie du téléphone et de l’ordinateur portable d’un avocat de Toronto alors qu’ils contenaient des renseignements protégés par le secret professionnel a causé un tollé au sujet des préoccupations quant à la protection des renseignements personnels aux frontières canadiennes.
Nick Wright, un avocat de Toronto spécialisé en droit des affaires qui revenait chez lui après un voyage au Guatemala et en Colombie, a décrit la confiscation de ses appareils par les agents des services frontaliers du Canada comme « scandaleuse ».
Cependant, selon les experts, afin d’éviter d’avoir à fournir des renseignements confidentiels à des agents des services frontaliers, les juristes devraient être préparés afin de pouvoir franchir la frontière en toute quiétude.
Consultez la nouvelle trousse d’outils intitulée Alerte aux frontières! pour y trouver des conseils quant aux mesures à prendre pour protéger le secret professionnel lorsque vous franchissez les frontières en possession d’appareils électroniques.)
Mark Pontin, associé dans le cabinet Fasken Martineau DuMoulin LLP, dit que les juristes devraient savoir que les agents des services frontaliers ont le droit de fouiller, voire de saisir, vos effets aux frontières.
« La question revêt une importance nouvelle en ce qui concerne les appareils électroniques, car ils ont le droit, en vertu de leurs propres politiques, d‘exiger qu’on leur révèle les mots de passe », dit-il. « Dans ce contexte, un juriste pourrait se retrouver face à une fouille qui pourrait révéler des renseignements protégés par le secret professionnel. »
Si votre téléphone ou votre ordinateur portable est saisi ou que son contenu est copié par les agents des services frontaliers, « vous avez perdu le contrôle de ces documents et vous pourriez avoir communiqué les documents privés de votre client qui étaient protégés par le secret professionnel », dit Me Pontin.
Il offre les conseils suivants aux juristes qui franchissent la frontière.
Nettoyez votre ordinateur portable
« Si vous n’avez pas besoin des documents protégés par le secret professionnel lorsque vous franchissez la frontière, ne les emportez pas », recommande Me Pontin.
Il dit que les juristes devraient essayer d’éviter autant que faire se peut de se retrouver dans cette situation.
« Vous ne devriez jamais vous saisir de votre ordinateur portable pour aller aux États-Unis ou ailleurs sans vous demander si vous y avez sauvegardé des documents protégés par le secret professionnel et si vous en avez besoin pour votre déplacement », dit-il. « Si vous n’en avez pas besoin, vous devriez les effacer. »
Il recommande que les juristes aient recours à un accès à distance pour consulter leurs dossiers à partir de l’étranger.
Les juristes devraient en outre envisager d’utiliser des appareils distincts pour leurs besoins professionnels et leurs besoins personnels, dit-il. « Ainsi, la ligne de démarcation est claire : cet ordinateur contient des renseignements protégés par le secret, mais pas celui-là. »
Si vous travaillez pour une entreprise ou un cabinet qui prête des ordinateurs portables à ses juristes en déplacement, ces appareils devront être « nettoyés et vidés » de tout document qui contient de l’information privilégiée entre chaque utilisation, ajoute Me Pontin.
Faites connaître votre identité et identifiez vos documents
Si vous devez voyager en possession de documents protégés par le secret professionnel, Me Pontin recommande de vous munir de pièces d’identité qui indiquent que vous êtes juriste.
« Ainsi, vous pouvez montrer aux agents des services frontaliers que ce n’est pas sans fondement que vous affirmez que votre ordinateur ou votre téléphone contient des documents tombant sous le sceau du secret », dit-il.
Me Pontin conseille aussi de marquer clairement ces documents comme étant protégés par le secret professionnel.
« S’ils sont dans votre ordinateur, ils devraient être séparés du reste de son contenu qui n’est pas protégé par le secret professionnel, il sera ainsi plus facile de revendiquer ledit privilège », affirme Me Pontin.
« Les agents des services frontaliers, tant américains que canadiens, ont des politiques qui les obligent à traiter les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat avec un certain degré de sensibilité », ajoute-t-il. « Si vous faites face à une fouille et qu’ils vous demandent votre appareil et votre mot de passe, n’attendez surtout pas pour revendiquer le secret professionnel à l’égard des documents sauvegardés dans votre téléphone ou dans votre ordinateur portable. »
Toutefois, Me Pontin prévient que cela pourrait ne pas empêcher un agent des services frontaliers de saisir votre appareil ou de lire les renseignements privilégiés.
« Les agents des services frontaliers jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire à cet égard, et pour estimer si l’existence du secret professionnel que vous invoquez est manifeste », dit-il. « C’est là que le bât blesse réellement. Leurs pouvoirs pour effectuer des fouilles et des saisies aux frontières se heurtent ou s’oppose à vos obligations, en tant que juriste, de protéger les renseignements que votre client vous a confiés sous le sceau du secret. »
Effacez votre application de courrier
Me Pontin dit que les experts en technologie de l’information lui ont recommandé que les juristes effacent l’icône de leur application de courriel et de mettre leur téléphone en mode avion avant de franchir la frontière.
« Comme cela, vous ne recevez pas de courriel alors que vous franchissez la frontière, et aucune icône ne les incite à fouiller dans vos courriels », dit-il.
Il serait « fort improbable », ajoute-t-il, que les politiques des services frontaliers en matière de sécurité autorisent les agents à exiger que vous téléchargiez un programme de courriels sur votre appareil pour leur permettre de fouiller dans vos courriels.
« Cependant, si vous en avez un d’installé lorsqu’ils exécutent une fouille dans votre téléphone, ils pourraient consulter vos courriels, car votre application est à leur disposition », dit-il.
Une fois parvenu à votre destination, vous pouvez restaurer le programme que vous utilisez pour les courriers et enlever votre appareil du mode avion, recommande-t-il.
La prudence est de mise lorsque vous envoyez des documents au-delà des frontières
Me Pontin avertit aussi les juristes qu’ils doivent penser aux problèmes liés au secret professionnel lorsqu’ils traitent avec des homologues étrangers.
« Il importe de se souvenir que lorsque vous traitez avec un juriste étranger ou manipulez des documents à l’étranger, ou encore lorsque vous envoyez des documents à l’étranger, ce sera le droit de ce pays étranger qui va régir le secret professionnel », dit-il. « Si le caractère privilégié de certains documents est remis en cause aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, la question sera de savoir si le droit canadien connexe au secret professionnel s’applique ou non. C’est une question qui revêt une importance majeure. »
Il y a des différences considérables dans la manière de traiter le secret professionnel dans divers pays », dit Me Pontin.
« Ici, au Canada, si vous vous retrouvez en possession de documents manifestement protégés par le secret professionnel et que vous pensez qu’ils ont été communiqués par erreur, en votre qualité de juriste vous êtes tenu de les rendre sans les avoir lus », déclare Me Pontin.
En revanche, dans certains pays, l’obligation envers votre client d’utiliser ces documents à votre avantage prévaut sur l’obligation de les rendre.
« Lorsque vous exercez dans un pays étranger, vous devez réaliser que la manière de traiter les documents confidentiels sera différente », affirme Me Pontin, qui souligne l’importance du secret professionnel comme la « pierre angulaire du fonctionnement de la relation entre un avocat et son client. »
Pour en savoir davantage sur le secret professionnel aux frontières, veuillez lire le mémoire rédigé en 2017 par l’ABC intitulé La protection des renseignements personnels des Canadiens et Canadiennes aux postes frontaliers et dans les aéroports (en anglais, avec sommaire en français) et le billet paru dans Influence de l’ABC intitulé Protection des renseignements personnels aux postes frontaliers : un téléphone intelligent s’apparente-t-il plus à une lettre ou à un porte-documents?