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Sauvegarder la primauté du droit

Le nouveau président de l'ABC, John Stefaniuk, explique comment les membres peuvent contribuer à la protection de nos institutions démocratiques et à la création d'une profession ouverte à tous, et redonner à leurs communautés.

John Stefaniuk, CBA President
John Stefaniuk, président de l'ABC

ABC National : Maintenant que vous êtes président, quelles sont vos grandes priorités?

John Stefaniuk : Ma grande priorité, et c’est aussi celle de l’ABC, est de servir nos membres. Nos membres sont les ambassadeurs de la profession juridique, façonnent la législation, aiguillent les réformes de droit, travaillent à l’amélioration de notre système de justice et s’appliquent à la formation continue.

Cette année, je souhaite centrer mon travail sur trois axes importants. Premièrement, la protection et le renforcement de la primauté du droit au Canada et à l’étranger. Deuxièmement, l’inclusion : les avocats et avocates, notaires, juristes, chercheurs et chercheuses, étudiants et étudiantes en droit doivent tous et toutes sentir qu’ils ont leur place au sein de l’ABC, et qu’elle est là pour les soutenir. Troisièmement, je veux encourager l’implication et illustrer notre engagement envers la profession et la collectivité. J’espère souligner les apports de certains membres qui contribuent de façon tangible et en encourage d’autres à suivre leur exemple.

N : Selon vous, comment la primauté du droit se porte-t-elle au Canada?

JS : Même au Canada, elle est sans cesse mise à l’épreuve. Notre profession juridique doit toujours la protéger, sensibiliser les esprits et éduquer le public et nos élus quant à son importance. Les politiciens avocats de formation sont moins nombreux que par le passé. Nous provenons tous d’horizons différents, et c’est pourquoi il est essentiel que les professionnels du droit interviennent et comblent les lacunes. Il est intéressant de rappeler qu’aux États-Unis, l’American Bar Association met l’accent sur l’éducation civique afin de mieux faire connaître les systèmes de l’État et l’appareil judiciaire. Il faut continuer à élever la voix quand des empiétements indésirables menacent la primauté du droit. Nous devons répondre aux commentaires publics émanant de groupes, de particuliers et de représentants élus quand nous jugeons qu’ils vont trop loin ou qu’une explication s’impose.

N : En cette ère où les institutions sont en déclin et des forces croissantes compromettent la primauté du droit et les normes démocratiques, voyez-vous une occasion pour la communauté juridique de redéfinir sa raison d’être? Quel est le rôle de l’ABC dans ce contexte?

JS : Il est bon de faire le point de temps à autre, et de se demander ce qui nous pousse à exercer la profession et à faire partie de l’ABC. Ce moment n’est pas unique dans l’histoire; cependant, des événements récents ont mis certaines questions en évidence dans la conscience du public. Le déclin dont j’ai parlé sur le plan de la communauté d’expériences se traduit aujourd’hui par une connaissance affaiblie de normes qui naguère nous prenions comme acquises. On le voit très clairement dans le discours politique et à la manière dont le public comprend et soutient les traditions et les institutions juridiques. À d’autres égards, cela s’explique parce que les différentes sources de médias ou d’information sont plus fragmentées. C’est l’occasion pour la profession juridique de prêter main forte en contribuant à l’information, à l’éducation et à la représentation.

N : Cette année, l’ABC a organisé une activité sur l’art de bâtir la confiance dans une magistrature indépendante, et cela a soulevé des questions concernant le sous-financement du système de justice et des médias couvrant les questions de justice. Quelles leçons devrions-nous en retenir?

JS : L’une des questions qui m’ont le plus frappé est celle de l’accessibilité. L’accessibilité physique aux décisions et aux dossiers des tribunaux est d’une grande importance pour les journalistes dans un environnement où tout tourne autour d’heures de tombée suivant des cycles de 24 heures. L’accessibilité est renforcée si l’on s’assure que les décisions sont intelligibles pour les médias et le public. Le public mérite un système de justice qui lui est accessible et qu’il perçoit comme étant l’endroit où s’adresser pour obtenir une résolution rapide et efficace des problèmes juridiques; un système qui protège ses droits. Ce type d’accessibilité est un défi lorsque les délais et les coûts rendent l’accès difficile, voire impossible. Une autre question soulevée dans le cadre de l’activité est celle de la compréhension par les médias et le public des préceptes fondamentaux de notre système judiciaire depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, en particulier le rôle des tribunaux et du droit dans la protection des libertés individuelles et collectives contre les empiétements des pouvoirs publics.

N : Comment l’ABC pourrait-elle agir pour combler le fossé entre les citoyens et les institutions démocratiques et renforcer la transparence, la responsabilisation et la confiance du public?

JS : Nous devons rappeler la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège les particuliers contre les actions de l’État et souligne l’importance d’une magistrature indépendante et de la profession juridique pour ce qui est de garantir la primauté du droit et les droits individuels. Il demeure important de soulever les préoccupations concernant l’accès à la justice, notamment quant au maintien du bon fonctionnement des tribunaux, aux délais acceptables pour le déroulement des affaires, aux systèmes de justice alternative dans les cas où c’est indiqué, et au financement adéquat de l’aide juridique en droit criminel, civil, de la famille et des réfugiés. Nous pouvons joindre nos voix à celles des leaders, des décideurs et du gouvernement en soutien à ces initiatives publiques et professionnelles de l’ABC.

N : L’ABC a-t-elle un rôle à jouer en matière d’éducation civique dans les médias?

JS : L’ABC se veut le porte-parole de la profession juridique. Ce n’est pas pour rien. Nos membres reçoivent régulièrement des demandes d’avis ou d’opinion sur toutes sortes de questions d’importance publique touchant au droit et à l’administration de la justice, que cela concerne une décision judiciaire, la loi ou une question liée à la réforme du droit. Nous adoptons alors un regard impartial et éclairé, et nous prenons ce rôle très au sérieux.

N : Quels aspects de la mission de l’ABC vous gardent engagé et motivé au fil des années?

JS : L’excellent travail que nous faisons, et les gens de l’ABC. J’y suis depuis des décennies, et je me suis fait de très, très nombreux amis proches. Cela m’a aussi fait vivre des expériences uniques, comme ma participation au Programme de développement international de l’Association. J’ai voyagé en Afrique de l’Est et collaboré avec des collègues membres des barreaux de l’Ouganda, du Tanganyika et du Kenya en lien avec différentes questions sur l’inclusion dans l’exploitation minière, pétrolière et gazière, en mettant l’accent sur les impacts particuliers de l’exploitation des ressources extractives sur les femmes et communautés locales. Sans mon engagement à l’ABC, jamais je n’aurais pu vivre de telles expériences.

N : Vous avez présidé une organisation de levée de fonds qui a réussi à obtenir un fonds de dotation pour le Musée canadien pour les droits de la personne de Winnipeg. Quelle est l’importance pour les juristes de s’impliquer ainsi dans leur communauté?

JS : Il y a plusieurs années, je me suis hasardé sur une série de livres, intitulée The Law in Literature (« Le droit dans la littérature »). L’inscription indiquait qu’elle avait jadis été entre les mains du regretté D’Arcy McCaffrey, un avocat plaidant respecté de Winnipeg. J’y ai trouvé un passage de sir Francis Bacon : une partie de son introduction de son traité sur les lois de l’Angleterre. Pour l’essentiel, dans le langage d’aujourd’hui, Bacon presse chacun de se faire un pilier dans sa profession en exerçant ses fonctions avec compétence et en redonnant à la profession et à la collectivité. Je crois qu’il s’agit d’un principe raisonnable qui s’applique à chacun de nous qui avons le privilège d’être membres de la profession juridique.

Cette entrevue a été révisée et condensée pour la publication.