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Entrevue avec le nouveau président de l’ABC Ray Adlington

Le président de l'ABC Ray Adlington aborde ses priorités pour l’année à venir.

Ray Adlington

Me Ray Adlington, avocat-fiscaliste et associé chez McInnes Cooper à Halifax, est devenu président de l’Association du Barreau canadien le 1er septembre dernier. En entrevue avec ABC National, il aborde ses priorités pour l’année à venir et la façon dont l’Association aide les professionnels du droit à développer les compétences essentielles à leur réussite.

ABC National : Les temps sont durs pour la profession. Divers nouveaux modèles d’affaires remettent en question le cabinet traditionnel; les nouvelles technologies forcent les avocats à repenser la prestation et la facturation de leurs services; d’aucuns accusent les facultés de droit de ne pas former adéquatement les juristes en devenir… Et la profession est toujours aux prises avec des problèmes en matière de diversité. Et le système de justice est mis à rude épreuve. Dans cette optique, quelles sont vos priorités pour l’année à venir?

Ray Adlington : Cela décrit bien là où nous en sommes aujourd’hui. Avant d’aborder ma propre priorité, je me dois de souligner celles que le Conseil d’administration de l’ABC a établies pour cette année, soit valoriser le statut de membre et améliorer la satisfaction des membres quant à l’ABC. À la lumière des sondages menés dans leurs rangs, le Conseil d’administration a par ailleurs défini deux priorités en matière de représentation : améliorer l’accès à la justice et protéger le secret professionnel de l’avocat. Nous ferons part aux membres de nos progrès à ce chapitre tout au long de l’année.

Pour ma part, je me suis donné comme priorité de rendre la profession juridique plus inclusive. Nous savons que certaines identités culturelles sont sous-représentées dans notre profession, surtout dans les postes de dirigeant. De même, nous sommes conscients que la dépression et les autres maladies mentales font l’objet d’une stigmatisation qui n’existe pas pour le cancer ou d’autres affections physiques. Cette année, je compte collaborer avec des groupes en quête d’égalité et notre Sous-comité du mieux-être pour pousser nos membres à combattre leurs partis pris implicites en apprenant à les reconnaître et à les admettre et, enfin, en appliquant cette réflexion aux jugements qui sont portés sur les comportements d’autrui dans divers contextes.

N: Vous êtes un homme blanc hétérosexuel et cisgenre. Qu’est-ce que quelqu’un comme vous sait de l’inclusivité?

R.A. : C’est vrai, mais j’ai été élevé sur la route. Mon père étant dans l’Aviation royale canadienne, nous avons souvent déménagé : à l’école, j’étais toujours le petit nouveau. J’ai ainsi connu ce que c’est que d’être exclu, bien qu’à ma propre manière. Il faut se rappeler que l’exclusion se vit de différentes façons, dans différents contextes. Ce que j’ai appris des gens au fil des années, c’est à quel point se faire ostraciser peut affecter quelqu’un, personnellement comme professionnellement.

J’admets que, dans la première décennie de ma carrière en droit, je n’avais aucune idée des obstacles auxquels font face les femmes dans la profession, ainsi que les personnes autochtones, LGBTQ, de couleur ou atteintes d’un handicap. Ce n’est qu’en voyant mes filles évoluer au sein du système d’éducation, et en ayant eu à dire adieu à nombre de collègues qui, ne me ressemblant pas, ont quitté le cabinet, la ville, et parfois même la profession, que j’ai regardé les choses en face : je profite d’un avantage indu. Voilà maintenant cinq ans que je travaille avec Ritu Bhasin; elle m’a sensibilisé à l’influence sur le comportement des différences sous toutes leurs facettes, et m’a aidé à développer un style de leadership inclusif.

N: On parle souvent dans la profession juridique de mettre la diversité de l’avant, mais vous semblez dire que le nerf de la guerre serait plutôt l’inclusivité.

R.A. : Je crois que la vraie diversité passe par l’inclusion. Nous n’obtiendrons les pleins bénéfices de la diversité qu’en assouplissant notre conformité aux normes dominantes et en faisant place aux différences individuelles. Nous ne tirerons rien du trésor de perspectives qu’offre la diversité si nous n’apprenons pas à écouter, à inclure ces points de vue.

N: Quelle serait la meilleure façon pour l’ABC d’aider ses membres à développer les compétences nécessaires à leur réussite dans un secteur en pleine évolution?

R.A. : Chacun devrait pouvoir définir sa réussite, sans égard à l’idée classique qu’on s’en fait. À ce chapitre, l’ABC peut aider ses membres à faire connaître leurs réalisations et, en partant de là, à faire voir à leurs collègues qu’il n’y a pas qu’une voie de succès. Chacun peut alors redéfinir son image de la réussite, selon l’étape de sa carrière et de sa vie. Car cette image peut changer avec le temps; croyez-en mon expérience. Que ce soit en sortant de la faculté de droit, en devenant père, ou en me joignant à notre équipe de gestion, ce que je croyais être la réussite a changé au fil du temps. La nouvelle idée que je m’en fais à titre de président de l’ABC est d’ailleurs très différente de mes anciennes notions.

La prochaine étape consiste à enseigner aux membres, grâce au mentorat professionnel comment ils peuvent définir leur propre réussite. Nous pouvons aider les avocates et avocats à s’y retrouver dans le parcours moderne de la profession juridique, lequel pourra les appeler à passer de la pratique privée au secteur public ou à la pratique en entreprise – et inversement – ou encore, à jongler entre divers emplois mettant à profit leurs compétences juridiques. La carrière juridique d’aujourd’hui tient plus que jamais de la marelle; et l’ABC peut être d’une aide précieuse pour ne pas trébucher.

N: Qu’en est-il de la représentation?

R.A. :  La représentation est l’un des piliers de l’ABC. C’est par elle que nos membres exercent une influence collective sur notre société. À mesure que le droit se complexifie, le besoin que l’ABC prenne position se fait de plus en plus impérieux, spécialement dans les deux domaines que le Conseil d’administration a priorisés : l’accès à la justice et le secret professionnel de l’avocat. Pour ce qui est de la première priorité, l’ABC dispose – et tirera profit – de plusieurs façons de faire valoir son point de vue auprès du gouvernement, des tribunaux et de la profession elle-même; pour ce qui est de la seconde, nous devons toujours être aux aguets d’éventuelles intrusions gouvernementales et protéger le secret professionnel de l’avocat dans toute la mesure du possible.

Il faut également nous faire défenseurs de la profession : nous ne devons pas passer sous silence les histoires d’avocates et avocats souffrant de troubles de santé mentale. De même, l’un des rôles de l’ABC est de pousser ses membres à se soucier de leur santé physique : au bout du compte, une bonne santé va de pair avec un service à la clientèle de qualité.

N: Si le prochain gouvernement offrait à l’ABC de lui exaucer trois vœux, que devrions-nous lui demander?

R.A. : Premièrement, qu’il respecte son engagement de pourvoir aux postes vacants à la magistrature à l’échelle du pays. Deuxièmement, qu’il fournisse aux services d’administration des tribunaux les ressources nécessaires pour accroître leurs capacités technologiques et leur transparence. Troisièmement, qu’il rende obligatoire la formation en matière de compétences culturelles – et fasse des rappels annuels en la matière – pour les avocates et avocats gouvernementaux, en commençant par celles et ceux qui œuvrent au sein du système de justice pénale.