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L’intuition ou les données? Entrevue avec Benjamin Alarie

L’intelligence artificielle a fait des avancées dans plusieurs secteurs au cours des dernières années, dont la santé, l’éducation, la finance et le droit.

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Lors de la conférence de l’ACCJE en avril, Yves Faguy s’est entretenu Benjamin Alarie, PDG de Blue J Legal. L’entreprise utilise l’apprentissage automatique pour aider à prédire l’issue de dossiers dans le domaine fiscal. Ils ont discuté des promesses de l’IA pour les cabinets juridiques et des écueils possibles, et de la question de savoir si les juristes devraient sauter dans le train dès maintenant – ou attendre encore un peu.

ABC National : Il y a un certain nombre de groupes du domaine juridique, ici au Canada, qui œuvrent dans le domaine de l’IA. Comment expliquez-vous le phénomène?

Benjamin Alarie : Il y a quelques raisons pour lesquelles ça se produit maintenant. L'une est que la recherche juridique a été pendant très longtemps purement analogique. Puis, nous avons vu l'avènement du numérique, et maintenant, nous voyons celui de la recherche juridique basée sur des calculs informatiques, où vous utilisez des mathématiques appliquées pour extraire des informations du contenu numérique. Ce qui facilite le processus est la puissance informatique maintenant disponible et les algorithmes qui nous permettent d'exploiter ces capacités.

N : Du point de vue de l’IA, que fait Blue J Legal?

BA : En gros, nous avons créé un outil qui permet aux utilisateurs de mener des simulations sur la manière dont un tribunal en droit fiscal pourrait statuer dans le dossier de votre client. C'est une façon de lier des faits à des résultats juridiques, et ça vous permet de jouer avec le droit.

N : Donc de manière concrète, vous quantifiez le risque grâce à une analyse prédictive?

BA : Exact. Ce genre de logiciel répond réellement à ce que les clients veulent savoir, c’est-à-dire : « Quelles sont mes chances de succès? », « Quels sont les enjeux? » et « À combien s’élèvera la facture ». En tant que professionnels, nous sommes souvent réticents à donner une réponse claire à ce genre de questions.

N : En quoi est-il important pour les départements et cabinets juridiques de s’impliquer rapidement dans le domaine de l’IA?

BA : Beaucoup de gens ont un intérêt financier à dire que vous devriez vous lancer là-dedans rapidement et intensément. La vérité est qu’il y a plusieurs rampes qui permettent d’accéder à la technologie. Mais il y a des avantages à s’impliquer rapidement. Principalement, vous pourrez vous y habituer, et alors qu’elle s’améliore, vous pourrez l’intégrer dans votre pratique avec des ajustements mineurs en termes de coûts.

N : Y a-t-il des erreurs qui peuvent survenir, des imprévus dont on devrait se soucier?

BA : Notre logiciel examine toute la jurisprudence et s’enquiert des faits les plus courants qui ont tendance à déterminer les résultats. Advenant un fait nouveau, la jurisprudence évoluera sans doute dans une direction ou une autre pour prendre en compte cette nouvelle considération. Le logiciel a besoin de supervision parentale, c’est certain, mais s’il a raison à 90 %, cela vous donne un bon point de départ pour mener votre analyse. Je pense que le plus grand risque est que les conseillers juridiques n’utilisent pas ces outils, et qu’ils donnent des conseils erronés.

N : Y a-t-il un danger que nos propres biais et préjugés soient pris en compte et programmés par ces algorithmes?

BA : Il faut toujours examiner ces nouvelles technologies avec un certain recul alors qu’elles sont développées. Mais la barre est haute pour les systèmes d’IA, si bien que le rapport entre les décisions algorithmiques et humaines est injuste. Chaque année en Amérique du Nord, des dizaines de milliers de personnes meurent dans des accidents de la route, mais le seuil pour les véhicules autonomes est qu’ils doivent être sécuritaire à 100 %. De la même manière, aux États-Unis, si vous êtes reconnu coupable d’un crime la veille d’une élection dans le domaine judiciaire – et il y a beaucoup de documentation sur le sujet – il y a une tendance, parmi les juges, à être plus sévères en matière de sentences.

N : Quand devrions-nous nous fier à l’intuition, et quand devrions-nous nous fier aux données?

BA : Pensez à la prise de décision dans le domaine médical; vous avec rendez-vous avec votre médecin de famille ou un spécialiste pour un quelconque problème de santé. Préféreriez-vous que votre médecin se fie à son intuition, ou qu’il adopte une approche basée sur les preuves médicales afin de recommander un traitement? Maintenant, pensez au domaine juridique : je veux un avocat qui utilise toutes les meilleures technologies pour examiner et synthétiser toutes les données, mais qui utilise aussi son jugement professionnel pour apposer un filtre sur ce que [cette technologie] lui suggère – c’est alors que je me sentirai vraiment à l’aise avec les conseils que je reçois.

Cette entrevue a été abrégée aux fins de publication.