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Mark Tamminga sur l'avenir de la blockchain et les services juridiques

En juin, la firme Gowling WLG a annoncé qu’elle devenait membre fondatrice du Blockchain Research Institute, inauguré cette année à Toronto pour étudier l’émergence de la technologie des registres distribués derrière Bitcoin et d’autres cryptomonnaies.

Photo of Mark Tamminga

L’ABC National a rencontré Mark Tamminga, associé et chef des initiatives d’innovation du cabinet à Hamilton, pour discuter des répercussions du blockchain (chaînes de blocs) sur le secteur des services juridiques.

CBA National: Où en est l’évolution du blockchain?

Mark Tamminga: On est en 1994, où il a fallu un navigateur universel comme Mosaic pour montrer que c’était un excellent outil d’accès à une formidable plateforme de communication mondiale. En fait, on ne parle pas « du blockchain », mais plutôt de multiples chaînes de blocs, comme il existe de nombreux réseaux sociaux aux buts différents. Il n’y aura pas un blockchain pour les gouverner toutes.

N: Est-ce une technologie répandue?

MT: On commence à l'utiliser dans un contexte commercial, comme les swaps d’énergie en Australie ou les contrats intelligents pour les swaps de taux d’intérêt [en finance] où des opérations mécaniques doivent avoir lieu en fonction d’événements. Elles peuvent aussi servir au traitement des envois d’argent dans le monde parce qu’il est trop long et dispendieux de recourir à Wells Fargo, qui peut imposer un délai de cinq ou six jours et garder 10 % de l’envoi dans le cas d’un petit montant. C’est un facteur important pour les gens aux Philippines et en Indonésie qui attendent de l’argent de leurs proches en Amérique du Nord ou en Arabie saoudite, par exemple. Donc cela commence déjà à s’immiscer dans notre conscience commerciale.

N: À votre avis, quelles en sont les répercussions juridiques?

MT: Les répercussions se rapportent surtout à la confiance et à l’authentification : transferts d’argent, opérations sur valeurs mobilières et compensation, registres de titres… Pensez-y : quand on peut échanger des valeurs ou approuver la propriété sans l’intervention d’un tiers de confiance, on se retrouve soudainement avec toute une série de nouveaux facteurs et une panoplie d’outils de résolution de problèmes jamais offerts auparavant. Comment en tenir compte dans les ententes commerciales, les règlements et les lois en vigueur, par exemple quand il faut faire appel à un dépositaire légal? Qu’en est-il des contrats multipartites qui peuvent s’exécuter eux-mêmes?

N: Comment un contrat peut-il exister sans personne pour le contrôler?

MT: Nous en sommes encore à l’étape de l’expérimentation, certes, et ça reste difficile à comprendre. Mais on peut avoir des contrats intelligents qui se regroupent et fonctionnent de manière à devenir une organisation autonome distribuée – des contrats entre machines qui font des choses selon les conditions et les événements. Ou, on pourrait exécuter de petits programmes sur un blockchain en fonction d’événements du monde extérieur, comme la température. Il pourrait y avoir une connexion avec les services météorologiques. Exemple : vous avez un contrat d’assurance agricole et serez payé si la température reste au-dessus de 35 °C durant une certaine période. Actuellement, vous devez attendre que cela arrive, puis présenter votre réclamation pour qu’elle soit évaluée et que l’assureur vous envoie l’argent à un moment donné. Or, vous pourriez plutôt avoir un contrat intelligent qui surveille la température et vous envoie le paiement automatiquement dès que cet événement survient. L’exécution se fait toute seule sur le blockchain.

N: Comment les juristes doivent-ils se préparer à ce nouveau monde?

MT: Vous savez, le droit est un domaine extrêmement vaste qui englobe de nombreux axes de responsabilité différents. Les chaînes de blocs n’auront sans doute pas d’incidence sur le droit pénal. Mais si vous êtes un avocat spécialisé en droit réglementaire, alors oui, vous devez vraiment y prêter attention. Si vous travaillez dans le secteur bancaire, vos clients vont vous poser des questions sur les différentes méthodes d’échange. Et si vous êtes prévoyant, surtout si vous travaillez en droit des sociétés, en droit commercial ou en droit de la propriété intellectuelle, il vous appartient de prendre de l’avance en essayant de comprendre les éventuelles répercussions sur vos activités.

Il est important d’adopter une position modérée et de prendre tout cela avec une bonne dose de réalisme; cela dit, la technologie des registres distribués crée quelque chose d’éminemment important qui mérite notre respect et notre créativité. Nous devons pouvoir informer nos clients des répercussions et les aider à utiliser eux-mêmes ces nouvelles technologies. J’ai bien l’impression qu’ils se tourneront d’abord vers nous, et nous ne perdons rien à nous y préparer.