Passer au contenu

Les mégadonnées, un moyen de vous démarquer

Les cabinets juridiques qui sont prêts à faire les investissements nécessaires peuvent utiliser des outils d’analyse de données juridiques pour améliorer leurs services.

light streams at night

Comment vous distinguez-vous de la concurrence? Et si vous pouviez démontrer à vos clients comment votre taux de réussite devant les tribunaux est supérieur à celui d’autres cabinets?

Il existe un moyen : l’analytique des données juridiques. En effet, les quantités astronomiques de données recueillies par les cabinets d’avocats et autres nous donnent l’occasion d’acquérir de nouvelles perspectives sur les dossiers juridiques et les clients, de mesurer la réussite, de résoudre des problèmes complexes et d’aider les clients à mi­nimiser leurs risques.

La pratique soulève des préoccupations entourant la protection des renseignements personnels, et le milieu juridique tarde à tirer profit de cette technique, qui nécessite un investissement technologique et du personnel spécialisé. Mais selon certains observateurs, le potentiel est indéniable.

« Par exemple, les avocats spécialisés en droit du travail et en conformité pourraient analyser des données de l’entreprise, faire le lien avec les honoraires juridiques et éventuellement trouver des moyens d’éviter les litiges en modifiant certaines pratiques, explique Ron Friedmann, consultant principal au cabinet-conseil en gestion juridique Fireman and Company. L’avenir est là. »

L’analytique des données consiste à examiner tout un corpus de données pour avoir une compréhension nouvelle d’une situation. Par exemple, des sociétés américaines comme TyMetrix et Sky Analytics examinent des milliers de notes d’honoraires pour aider les services juridiques à trouver les meilleurs tarifs.

En fait, la plupart des cabinets d’analytique se concentrent sur la facturation des honoraires et ne se sont pas encore attaqués à d’autres domaines comme le litige ou le droit des sociétés. Cette apathie relative est causée par une méconnaissance du domaine, une certaine indifférence et l’absence de pressions sur le marché.

« Beaucoup d’avenues restent inexplorées, car la facturation électronique a principalement été uti­lisée pour les analyses à base de règles, comme le cas d’un seul avocat lors d’une déposition, affirme Me Friedmann. L’analytique, ce n’est pas cela. Le but n’est pas d’analyser des données pour savoir quel avocat externe coûte le moins cher. »

D’autres organisations se tournent vers l’a­nalytique pour résoudre des problèmes complexes. Prenons l’exemple de la Société des loteries et des jeux de l’Ontario (OLG). Aux prises avec d’importants paiements découlant de règlements pour avoir omis d’appliquer un programme visant à empêcher les joueurs com­pulsifs d’entrer dans les casinos, elle a songé à installer un système de reconnaissance faciale numérique. La question était de savoir comment le faire sans violer la vie privée des gens au casino. Ann Cavoukian, ancienne commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario et instigatrice du concept de protection intégrée de la vie privée, a participé à la conception d’une solution inédite.

« Je n’aimais pas le programme proposé pour deux raisons, explique-t-elle. D’abord, non seulement il s’agissait de prendre la photo des personnes ayant demandé à se faire refuser l’entrée aux casinos, mais également de toutes les autres personnes présentes. »

« Ensuite, je ne voulais pas non plus qu’on utilise un système à données biométriques identifiables, c’est-à-dire un système pouvant générer un gabarit biométrique ou une représentation nu­mé­rique des données biométriques. Avec un mandat, la police pourrait facilement lire le gabarit de données biométriques identifiables.»

Elle a donc recommandé le cryptage biométri­que, qui consiste à stocker l’image faciale des joueurs autoexclus, mais sous forme codée.

« Seul le visage de la personne en question pourrait donner accès aux données archivées. Les données biométriques des joueurs récréatifs ne seraient pas recueillies puisqu’il n’y aurait aucune correspondance avec les images faciales dans les dossiers. Ainsi, tout le monde est gagnant. »

L’analyse des données sans tracas

Aucun cabinet d’avocats ne souhaite être cloué au pilori comme Target, le géant de la vente au détail, victime d’une fuite majeure de renseignements confidentiels l’an dernier. La facture a été salée : démission de son chef de l’information, près de 150 millions de dollars en dépenses supplémentaires et sa réputation ternie.

Vrai, mais les cabinets d’avocats et les autres sociétés ne doivent pas se laisser dissuader par le spectre d’une telle fuite. Il existe des moyens sécuritaires de collecter et d’analyser les données personnelles de ses clients.

Privacy by Design, un organisme sans but lucratif œuvrant pour la sécurité des données, a présenté quelques suggestions dans un récent rapport : restriction sur les outils d’accès pour les utilisateurs, anonymisation et mini­misation des données.

La minimisation des données préconise la seule collecte des données nécessaires, de préférence à l’accumulation aveugle et systématique. Les logiciels de collecte devraient être munis d’outils de protection de la vie privée, de sorte qu’il faille demander son consentement à qui de droit avant de recueillir des renseignements personnels.

L’anonymisation est quant à elle utile pour la gestion des données. Dépouiller les données de leurs éléments identifiants permet leur analyse et leur diffusion pour de nombreux utilisateurs. La province de l’Alberta est en train de rendre anonymes les données de son système de santé aux fins d’analyse par des chercheurs.

Les données identifiables doivent toujours être anonymisées avant l’analyse, rappelle Ann Cavoukian, ex-commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario et cofondatrice de Privacy by Design. L’application de rigoureux protocoles d’ano­n­y­misation diminue grandement le risque que des données permettent d’identifier une personne après coup.

« La protection de la vie privée est source d’innovation, ajoute-t-elle. Garantir au client toute la protection qu’il souhaite procure une longueur d’avance sur la concurrence. La sécurité des renseignements personnels intéresse autant les clients que les entreprises. La société qui traite cet enjeu avec le même sérieux que toute autre question d’affaires s’assure un avantage concurrentiel durable. » 

Rehaussez votre pratique

Que faire avec des données gratuites?

Après avoir suivi quelques cours d’informatique à l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique, Blake Wiggs, avo­cat et ex-ingénieur, a décidé de tirer la question au clair. C’est ainsi que Patent Data Analytics a vu le jour. Il s’agit d’un site Web présentant tout ce qu’il faut savoir sur les brevets au Canada et aux États-Unis : endroits où se trouvent les données, classification par catégories, etc.

« Le but n’est pas d’évaluer la brevetabilité, mais simplement de savoir qui fait quoi, précise Me Wiggs, associé à Oyen, Wiggs, Green & Mutala, une société vancouvéroise spécialisée en droit de la propriété intellectuelle. Les cabinets, poursuit-il, ainsi que les titulaires de droits et le Bureau des brevets ont besoin de cette information. »

Il a rapidement trouvé différentes façons d’utiliser les données.

Supposons qu’une firme retienne les ser­vices d’un recruteur en vue d’investir un nouveau secteur technologique et qu’elle souhaite lui indiquer où trouver l’expertise nécessaire. « En faisant une recherche simultanée par catégo­ries de technologies brevetées et par noms de sociétés émettrices de brevets, vous pouvez trouver assez rapidement qui est susceptible de posséder l’expertise recherchée. »

Me Wiggs a monté son site afin de partager les données avec d’autres avocats et de générer des représentations visuelles des données à l’aide de Tableau Public, un logiciel gratuit en ligne. Les firmes peuvent ainsi profiter de ces données gratuites pour faire l’essai de différents modèles et déterminer ce qui peut être utile pour leurs clients.

« Si j’avais accès à toutes les données, je pourrais faire plus, dit-il. Le meilleur exemple est le Patent and Trademark Office des États-Unis. Toutes ses données sont en ligne. Aucun autre pays n’offre une telle mine d’information. À mon avis, l’ensemble des données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) devraient être mises gratuitement à la disposition du public. »

Il conseille de commencer par des données d’un domaine familier, afin de pouvoir évaluer l’analyse en toute connaissance de cause.

En chiffres

9,6 milliards :
C’est le nombre d’appareils connectés à l’internet dans le monde.

2,5 trillions de bits (1018) :
La quantité de données générées chaque jour. 

90%
Pourcentage de toutes les données au monde générées ces deux dernières années.

51%
La quantité de données dans un format structuré

Cinq points d’accès à des données ouvertes

Le mouvement pour les données ouvertes vise l’accès simple et gratuit à des données pour tous les membres du public. Les organismes gouvernementaux et les grandes organisations suivent ce mouvement. Voici les meilleurs sites Web :

Le portail de données ouvertes du Canada (http://donnees.gc.ca/fra) : C’est la source numéro un pour les données du secteur public canadien. Vous ne trouvez pas ce que vous cherchez? Suggérez alors quels nouveaux ensembles de données devraient être publiés.

• Les sites municipaux de données ouvertes : Hali­fax a le site le plus récent depuis le lancement de halifaxopendata.ca, et le site de Calgary vient de faire peau neuve. Toronto, Ottawa et Montréal ont aussi de bons sites.

• Ensembles de données publiques Google (Google Public Data Explorer) : Ce moteur de re­cherche permet de trouver des données internationales; jetez un œil aux tableaux éclectiques mis à jour quotidiennement.

• Open Science Data Cloud : Cette organisation offre l’accès à 700 térabits de données servant à la recherche scientifique.

•Statistique Canada : Ce site Web bien connu est une bonne source de données économiques. Vous pouvez vous inscrire pour accéder aux mises à jour quotidiennes.

 

Les conseils des experts

 


Blake Wiggs
Oyen, Wiggs, Green &
Mutala s.r.l.

«Nous évoluons désormais dans un environnement ultracompétitif. Bien appliquée, l’analyse des données permet aux avocats de mieux comprendre cet environnement et d’apporter des changements améliorant leur position concurrentielle. »

 


Ron Friedmann
Fireman & Company

«Dans le monde d’aujourd’hui, on n’a pas idée de tout ce qu’on ne connaît pas. L’utilisation efficace des données massives passe par la recherche et le développement, mais personne ne veut s’y lancer, et rien n’encourage les cabinets d’avocats à le faire. La structure du marché étant ce qu’elle est, l’offre d’un meilleur produit ou service ne rapporte pas beaucoup au cabinet, mais il peut se démarquer — ce sera toutefois au prix d’une analyse difficile et coûteuse. »


Ann Cavoukian
Privacy by Design

«Les données personnelles ont beaucoup plus de chances d’être bien protégées si votre programme est muni de dispositifs de protection dès le début. J’ai parlé avec beaucoup d’ingénieurs et d’informaticiens durant ce que j’ai appelé “l’année des ingénieurs”, afin de savoir s’ils pouvaient encoder directement une fonction de protection des renseignements personnels. Ils ont répondu par l’affirmative, mais non sans préciser que cette exigence doit être établie dès le début, c’est-à-dire en même temps que les instructions d’écriture du programe. Si cette exigence arrive plus tard, c’est moins efficace : une fois le programme encodé, on ne peut pas y greffer des solutions et s’imaginer que tout marchera comme sur des roulettes. La protection de la vie privée doit s’inscrire dans la genèse du programme. »