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Ô Canada! Enlevons les vaches sacrées

Ce ne sont peut-être que des mots, mais ce sont les mots que nous utilisons tous ensemble pour célébrer notre pays

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Dès le premier jour à la maternelle, mes camarades et moi observions le rituel : nous lever tous les matins pour chanter l’hymne national. Bien que ce soit devenu une habitude, je n’y avais jamais vraiment réfléchi avant aujourd’hui.

Le 15 juin 2016, la Chambre des communes a adopté le projet de loi C-210, qui modifie la deuxième phrase de la version anglaise de l’hymne national pour le rendre moins discriminatoire. Ainsi, « in all thy sons command » est devenu « in all of us command ».

Cette version avait été écrite en 1908 par Robert Stanley Weir, un avocat montréalais, pour le 300e anniversaire de la ville de Québec. Elle n’a toutefois pas été gravée dans la pierre : M. Weir lui-même a ajouté « in all thy sons command » en 1914. Cet ajout s’inscrivait dans le contexte de la Première Guerre mondiale, mais critiquait aussi sans doute la lutte des femmes pour le droit de vote. Autrement dit, ces mots avaient délibérément été ajoutés pour exclure les femmes du nationalisme canadien.

Au beau milieu d’un débat sur le traditionalisme, les changements du projet de loi ont, ironiquement, rétabli les paroles originales.

La version française de l’hymne existait un siècle avant que la version anglaise soit officialisée par la Loi sur l’hymne national de 1980. Avant l’œuvre de M. Weir en 1908, 40 versions anglaises différentes étaient chantées au Canada. Il y a eu depuis plusieurs tentatives de modification, dont une réussie en 1968. Difficile de parler d’une tradition immuable.

Le Bloc Québécois s’est abstenu lors du vote sur le projet de loi C-210, prétextant que la question ne le concernait pas. Or, son tour pourrait bientôt venir.

La version française est demeurée inchangée depuis sa composition en 1880 par Sir Adolphe-Basile Routhier, un juge québécois originaire d’un village à l’est de la rivière des Outaouais; en fait, les formulations françaises contournent le problème lié au genre.

Toutefois, cette version demeure typique du 19e siècle, notamment par son christianisme guerrier : « Car ton bras sait porter l’épée, il sait porter la croix! » Le dernier couplet de l’original allait encore plus loin et comportait plusieurs références au Christ.

Les sondages d’opinion indiquent que l’hymne est un symbole moins important que le drapeau ou la Charte. Néanmoins, un symbole national comportant des références religieuses aussi explicites pourrait contrevenir à un symbole plus important encore, la Constitution.

En 2015, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision du Tribunal des droits de la personne du Québec dans Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), au motif que la récitation d’une prière chrétienne avant une séance du conseil municipal contrevenait à la neutralité de l’État. Elle a rejeté l’analyse de la Cour d’appel du Québec selon laquelle le devoir de neutralité doit tenir compte de l’histoire, de la tradition et du patrimoine religieux. Selon la Cour Suprême, l’approche appropriée en matière de prière publique est l’inclusion de toutes les croyances, y compris l’incroyance.

Une tendance comparable existe en Ontario, où la nouvelle politique sur la croyance de la Commission ontarienne des droits de la personne indique que la liberté de religion englobe désormais l’importante liberté de ne pratiquer aucune religion. En 2016, ce sont les Canadiens et Canadiennes sans appartenance religieuse, ou athées, qui connaissent la croissance démographique la plus importante.

L’affaire Saguenay a abordé la question de la prière publique, mais pas celle de la statue du Sacré-Cœur et du crucifix à l’hôtel de ville. Des litiges subséquents pourraient établir que ces objets ne sont pas, comme certains l’ont affirmé, de simples œuvres d’art sans connotation religieuse, et qu’ils contreviennent à la neutralité de l’État. L’immense crucifix de l’Assemblée nationale risque également d’être source de débats. Dans une démocratie moderne, la remise en question de nos symboles doit être considérée comme un exercice sain.

Les paroles de notre hymne national n’ont rien de sacré en soi. Ce ne sont peut-être que des mots, mais ce sont les mots que nous utilisons tous ensemble pour célébrer notre pays. Ces célébrations doivent être inclusives, même si cela nécessite une nouvelle modification de notre hymne national.

Le projet de loi C-210 a modifié notre hymne national afin d’inclure les femmes au même titre que les hommes. Peut-être le prochain changement permettra-t-il d’intégrer le reste du Canada.