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Accès sur demande

L'Uber-économie et les services juridiques: Un pas en avant pour l'accès à la justice?

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Un marché mal desservi, comme la nature, a horreur du vide.

Demandez aux fondateurs d’Uber, qui en l’espace de quelques années ont connu le succès qu’on connaît en saisissant à quel point il peut être difficile de se déplacer en ville. Airbnb, un autre fleuron de l’économie à la demande, a sauté sur l’opportunité d’aider les propriétaires résidentiels à faire de l’argent en les connectant à des visiteurs à la recherche d’une expérience authentique. Il y a aussi le secteur émergent des technologies financières, qui peut aider les consommateurs à avoir accès au crédit lorsque les banques refusent de prêter.

Il est donc étrange de constater à quel point l’industrie juridique ignore ce vaste marché de consommateurs dont, pour une raison ou une autre, les besoins juridiques persistent à ne pas être comblés.

Au cours des deux dernières années, des observateurs de l’industrie ont prédit que les firmes juridiques allaient bientôt rencontrer leur moment Uber, tandis que les technologies desserrent l’emprise qu’ils ont sur la clientèle depuis des décennies.

Le marché juridique au Canada est évalué à 26 milliards de dollars – un montant considérable mais s’il représente qu’une une fraction du marché américain, qui atteint maintenant environ 555 miliards $.

Les consommateurs de services juridiques veulent des solutions pratiques, transparentes et des coûts plus prévisibles et abordables, selon Chris Bentley, le directeur général de la Zone d’innovation juridique de l’Université Ryerson et un ancien procureur général de l’Ontario.

Le problème est que ce que les avocats continuent de générer, le plus souvent, sont des processus, de la complexité, de l’incertitude quant aux coûts et un manque d’accessibilité.

« Je ne crois pas qu’il y ait une compréhension réelle du montant d’argent qui est sur la table pour les avocats », a lancé Me Bentley lors d’un discours prononcé récemment au sommet sur l’innovation juridique du New Frontier of Legal Innovation, au MaRS Discovery District à Toronto. Selon lui, les avocats manquent des opportunités « qui seront saisies par d’autres ».

Les barrières réglementaires expliquent en partie cette inaction. Elles peuvent donner aux joueurs établis un faux sens de sécurité à l’égard d’une protection illusoire contre des rivaux potentiels. Mais le taxi, les hôtels et l’industrie bancaire ont éventuellement réalisé à la dure que ces obstacles peuvent n’être que des lignes Maginot faciles à contourner par un ennemi sorti de nulle part.

Le territoire juridique montre déjà des signes d’une telle percée. Aux États-Unis, LegalZoom a réussi à faire rejeter des recours intentés sur des bases réglementaires, qui alléguaient que l’entreprise est engagée dans la pratique illégale du droit. Avec l’aide de la technologie, Axiom Law est devenue l’un des fournisseurs de services les plus importants aux États-Unis et a récemment fait son entrée sur le marché canadien en faisant l’acquisition de Cognition LLP. Axess Law en Ontario s’est révélée comme étant l’une des entreprises les plus agressives en s’attaquant à ce marché sous-desservi, et en ouvrant près d’une douzaine d’établissements dans la province. La firme s’appuie sur les principes de bonnes pratiques commerciales et la technologie pour rendre plus abordable et facile d’accès une gamme de services, tels que des testaments, des refinancements hypothécaires et même des divorces non contestés.

Les annonces récentes de partenariats d’innovation juridique entre des firmes telles que McCarthy Tétrault et Blakes avec MaRS Discovery District démontrent que les nouveaux concurrents changent les règles du jeu. La Zone d’innovation de l’Université Ryerson s’est récemment associée à la firme Osler pour offrir un soutien à des entreprises en démarrage.

Il est encourageant que des cabinets montrent finalement des signes d’ouverture à l’égard de ces pratiques d’affaires modernes et à des technologies plus conformes aux habitudes des consommateurs au 21e siècle.

Mais une question qui demeure est de savoir l’impact qu’auront ces changements sur le besoin réel de se pencher sur la crise de l’accès à la justice. À cet égard, les expériences d’Uber, Airbnb et d’autres technologies du domaine financier offrent des leçons de prudence.

Uber se plaît à vanter son succès pour rendre le transport urbain plus accessible dans des quartiers moins bien desservis. Mais les faits démontrent que c’est surtout vrai pour ceux qui ont de l’argent, et qui voyagent dans des secteurs relativement aisés. Et plusieurs s’inquiètent que les succès de l’entreprise érodent la volonté politique de régler les problèmes du transport collectif au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin.

Pendant ce temps, les critiques d’Airbnb à travers le monde se plaignent que le service est devenu tellement lucratif pour les propriétaires résidentiels qu’il tue le marché local de la location, et pousse les prix vers le haut.

Il y a aussi des préoccupations quant au fait que les régulateurs doivent en faire davantage pour s’assurer que tous les Canadiens ont accès à des services financiers sécuritaires.

Les politiciens doivent ainsi se souvenir que l’accès à des services juridiques abordables et de qualité est critique pour la santé et le bien-être des citoyens. Autrement, l’innovation da[ns l’industrie juridique pourrait n’élargir l’accès aux services que suffisamment pour se faire croire – à tort – que la société fait ce qu’il faut pour s’attaquer à notre problème croissant d’accès à la justice.

Le danger est que cette perception sape la volonté politique de réformer le système de manière adéquate, de sorte que tous puissent être égaux devant la loi.