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Plusieurs demandent des comptes des géants de la technologie

Avec le ressac qui prend de l’ampleur à l’égard de Facebook, Google et Amazon, la question n'est plus de savoir si grandes entreprises technologiques seront réglementées, mais quand, comment et par qui.

Facing the tech giants

Durant les prochaines campagnes électorales au Canada et aux États-Unis, il est probable que nous entendrons davantage de candidats promettre de réglementer le secteur des technologies. La sénatrice américaine Elizabeth Warren, candidate à l'investiture démocrate, s'est déjà engagée à démanteler Facebook, Google et Amazon. Le gouvernement Trudeau envisage des modifications à la fois à la Loi sur la radiodiffusion et à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques — LPRPDE — afin de créer des règles sur la manière dont l'information est diffusée en ligne.

Les régulateurs sautent aussi dans la mêlée, ce qui soulève des questions quant à savoir qui, dans les faits, devrait superviser les activités de ces géants mondiaux de la technologie.

L’an dernier, le Bureau de la concurrence du Canada a publié un résumé de ses consultations sur les mégadonnées. Il a demandé de manière précise quelles parties de la Loi sur la concurrence pourraient être appliquées à des pratiques spécifiques du secteur, et a conclu qu'il pouvait s'appuyer sur « le cadre traditionnel d'application du droit de la concurrence ».

Plus tôt cette année, comme l’a rapporté le National de l’ABC, le Commissariat à la protection de la vie privée a quant à lui suggéré d’imposer aux entreprises l’obligation d’obtenir le consentement de leurs utilisateurs avant d’envoyer leurs données à un pays étranger. Il menace également de poursuivre Facebook devant la Cour fédérale pour l'obliger à se conformer aux lois sur la protection de la vie privée.

Alors que les organismes de réglementation cherchent ainsi à apposer leur propre empreinte dans ce dossier, des préoccupations pourraient émerger quant à une surenchère de cadres réglementaires. Mais pour le moment, quand il s’agit de limiter le pouvoir de la technologie, « cela n’a guère de sens de travailler seul », a souligné Josephine Palumbo lors de la conférence du printemps de l’ABC sur le droit de la concurrence, à Toronto. Me Palumbo est la sous-commissaire responsable des pratiques commerciales trompeuses au Bureau de la concurrence

« Le Bureau de la concurrence et le Commissariat à la protection de la vie privée ont des mandats différents, mais complémentaires », a-t-elle noté.

 

Le Bureau enquête sur les activités anticoncurrentielles, protège les consommateurs et fait la promotion de marchés concurrentiels. Le Commissariat à la protection de la vie privée enquête et fait rapport sur les violations des lois canadiennes sur la protection de la vie privée. Il recommande maintenant de créer de nouvelles règles de consentement lorsque les entreprises échangent des données volumineuses collectées auprès des utilisateurs.

Pendant ce temps, tout le monde se tourne vers les États-Unis pour voir comment le pays va s'y prendre pour faire respecter ses lois antitrust et relatives à la protection de la vie privée. La grande question est : « Qu'est-ce que la [Commission fédérale du commerce] va faire avec Facebook? », a expliqué Amanda Reeves aux participants de la conférence. Associée chez Latham Watkins à Washington, elle participait au panel avec Me Palumbo et Mark Opashinov, associé chez McMillan.

Facebook semble être en voie de conclure un accord avec la Commission fédérale du commerce (FTC) pour payer des amendes qui pourraient aller jusqu’à 5 milliards de dollars en raison des nombreuses atteintes à la vie privée et de la pratique consistant à informer de manière insuffisante les utilisateurs de leurs protections. Me Reeves croit qu'il y a deux autres options sur la table qui, si elles étaient utilisées, signaleraient que la FTC envisage de réellement hausser le ton. Le PDG Mark Zuckerberg pourrait être tenu personnellement responsable des manquements à la vie privée de sa société. Elle pourrait aussi imposer des limites plus strictes à la collecte de données par Facebook.

L’amende elle-même indique que « la perspective du droit de la concurrence ne suffit pas » pour traiter les problèmes actuels, estime Me Reeves. Se concentrer sur l’exploitation de mégadonnées dans une perspective strictement juridique ne « vous mènera pas très loin ».

Me Palumbo a en outre souligné que la coopération devrait exister non seulement entre les régulateurs nationaux, mais également entre les régulateurs internationaux. « Les problèmes sans frontières nécessitent des solutions sans frontières », a-t-elle lancé.

Pour le moment, le Bureau de la concurrence étudie comment il peut utiliser et mettre à jour ses outils de réglementation existants pour traiter les problèmes à mesure qu'ils surviennent. « Le ciel ne tombe pas », a déclaré Me Opashinov. « Les règles existent, et les lois sont largement adéquates. »

Mais même s’il pourrait être justifié d’enquêter sur les pratiques anticoncurrentielles de la part des grands acteurs, il est plus difficile de prouver que le marché a subi un préjudice considérable en raison de sa consolidation. Dans une certaine mesure, la taille de l'entreprise correspond exactement à ce que souhaitent les utilisateurs. Après tout, Facebook est devenu le plus grand joueur de son domaine précisément parce que les utilisateurs ont apprécié son omniprésence : tous vos amis et votre famille sont au même endroit.

D’un autre côté, la valeur de Facebook repose entièrement sur ses utilisateurs. S’ils partent ailleurs, la société perdra rapidement des parts de marché.

Néanmoins, certains estiment que des efforts déployés pour influencer le libre marché doivent être adressés. Google, par exemple, a été maintes fois réprimandé et condamné à une amende par les autorités européennes de la concurrence pour avoir usé de son marché publicitaire à son avantage, au détriment de ses concurrents.

De même, les autorités de la concurrence auront probablement à se prononcer sur un autre domaine : celui des fusions. La concentration encore plus étroite des grands acteurs d’une industrie est un domaine du droit de la concurrence qui ne peut être traité de manière adéquate dans d’autres domaines du droit. « Ces fusions sont les dossiers où, je pense, les choses vont vraiment devenir intéressantes », a affirmé Me Reeves.