Une règle Jordan pour les adolescents?
La Cour suprême pourrait limiter la durée des procès pour les jeunes contrevenants.
L’égalité devant la loi (comme aiment le rappeler les cours d’appel) ne veut pas dire que tout le monde est traité exactement de la même manière. La Cour suprême du Canada pourrait bien nous le rappeler encore une fois prochainement.
Le plus haut tribunal du pays a entendu récemment un appel dans K.J.M. c. Sa Majesté la Reine, un dossier rempli de questions intéressantes en droit de la jeunesse. Les faits sont assez communs : une bagarre entre adolescents lors d’une soirée bien arrosée, provoquée par ce que le juge du procès a décrit comme « une raison inexplicable, mais probablement typiquement adolescente », a donné lieu pour un jeune de 15 ans à des accusations de voies de faits graves et de possession d’arme dangereuse (en l’occurrence un couteau de type X-Acto).
Il a fallu 18 mois avant de terminer le procès de K.J.M. Or, quatre mois avant la fin du procès, en juillet 2016, la Cour suprême a rendu sa décision dans l’arrêt Jordan, et imposé un plafond de 18 mois pour les procès devant les tribunaux provinciaux et de 30 mois devant les cours supérieures.
K.J.M a demandé un arrêt des procédures au motif qu’il n’avait pas subi son procès dans un délai raisonnable. La cour provinciale a rejeté sa demande, tout comme la Cour d’appel de l’Alberta. La Cour suprême a pris l’affaire en délibéré.
L’arrêt Jordan a déclenché une avalanche de demandes d’arrêt de procédures à travers le système – mais puisque l’arrêt n’a pas mentionné les tribunaux de la jeunesse, personne ne sait avec certitude comment la norme s’applique à ce type de dossiers.
On s’attend donc à ce que la Cour suprême réponde à cette question, et à quelques autres dont : est-ce que les jeunes contrevenants devraient avoir droit à des durées moins longues que celles établies dans Jordan? Ou pour reprendre la question posée par la Cour d’appel de l’Alberta : est-ce que les procès qui impliquent des mineurs devraient être encore plus longs que 18 mois pour ne pas faire obstacle à l’objectif de réhabilitation et de réintégration du système de justice pénale pour les adolescents?
D’une certaine manière, les tribunaux de la jeunesse avaient déjà un seuil de type Jordan avant 2016. Le concept voulant que les procès impliquant des mineurs soient aussi courts que possible est inclus dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
« Le système considère qu’il est particulièrement important pour les jeunes qu’il n’y ait pas de longs délais entre l’infraction et la sentence – que le défendeur expérimente des conséquences plus immédiates », dit Michael Dineen de Dawe Dineen à Toronto.
Les cours reconnaissent que des procédures de 18 mois peuvent paraître beaucoup plus longues pour un adolescent que pour un adulte de 30 ans. « Quand vous avez 14 ou 15 ans, même un procès de 12 mois représente une grande partie de votre vécu jusqu’à ce pont-là », note Markham Silver, c.r., de Calgary. « Vous vous souvenez à quel point les étés pouvaient paraître longs quand vous étiez enfant? »
Les trois juges de la cour d’appel ont convenu que les jeunes avaient droit à un procès dans un délai raisonnable. Deux d’entre eux ont conclu que le procès de K.J.M. n’avait pas violé la norme établie dans Jordan. La juge dissidente a plutôt statué qu’un délai de 15 mois serait acceptable – ce qui correspond en gros à ce qui était considéré comme raisonnable pour ce type de procès avant Jordan.
Plusieurs estiment que la Cour suprême statuera que les procès d’adolescents devraient être plus courts que ceux des adultes. « Deviner ce que la CSC va décider dans un cas précis est un peu comme tenter lire l’avenir dans des feuilles de thé », lance toutefois Michael Lacy de Brauti Thorning LLP à Toronto. « Mais je crois que la Cour reconnaîtra le besoin pour les jeunes contrevenants de subir leur procès plus rapidement. »
« Jordan était un choix audacieux », dit Drew Yewchuk, avocat à la Public Interest Law Clinic de l’Université de Calgary. « Et comme [les juges de la Cour suprême] ne ressentent pas vraiment la pression des premières lignes auxquelles font face les juges des procès, il est peu probable qu’il y ait quoi que ce soit qui leur fasse perdre leur sang-froid. »
La chose la plus facile pour la Cour serait d’établir un nouveau plafond ferme – une norme à la Jordan spécifique aux jeunes contrevenants. « Je crois davantage qu’ils vont s’en tenir à l’approche du plafond présumé, qu’ils le maintiennent à 18 mois ou qu’ils le réduisent à 15 », dit Me Yewchuk. « Les juges dissidents dans Jordan ont déjà présenté leurs arguments contre cette notion. »
Une telle approche aurait le mérite d’être simple – mais certains font valoir que ce serait mal adapté au système des tribunaux de la jeunesse, où des mesures alternatives destinées à garder les jeunes contrevenants en dehors des centres de détention peuvent rendre le calcul de la durée des procès plus complexe.
Il y a aussi la question de l’équité. Prenons l’hypothèse où la Cour suprême introduisait une norme à la Jordan pour les tribunaux de la jeunesse – un plafond ferme de 15 ou même de 12 mois.
Le droit vous considère comme un mineur jusqu’à l’âge de 18 ans. Me Silver offre une comparaison : un jeune de 17 ans accusé de vol qui atteint l’âge de 18 ans le lendemain de son accusation, et un autre jeune qui est accusé du même vol, mais qui a atteint l’âge de 18 ans la veille des accusations. Le premier aurait le bénéfice d’un procès moins long et son coaccusé – plus vieux d’à peine une journée – ne l’aurait pas.
« Il est évident pour moi que nous avons besoin d’un critère différent », dit-il. « Un critère qui donne aux juges une plus grande discrétion pour tenir compte des circonstances spécifiques d’un dossier et décider à quel point les délais étaient raisonnables, ou pas. »