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Promouvoir la réconciliation économique

Pour connaître du succès, il est essentiel de soutenir davantage de gens d’affaires autochtones.

Commercial fishing

Nous savons tous que le Canada a fréquemment condamné ses peuples autochtones à des destinées affreuses et cruelles. Toutefois, le 21e siècle a marqué une nouvelle ère d’espoir et d’optimisme, et nous espérons pouvoir parcourir un chemin différent ensemble.

Deux premiers ministres ont présenté leurs excuses pour le drame des pensionnats indiens. Le gouvernement actuel ouvre la voie vers une autonomie gouvernementale moderne pour les Premières Nations, le Parlement venant tout juste d’adopter une loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Le gouvernement de la Colombie-Britannique a déjà adopté la Déclaration, de même qu’un mandat de réconciliation qui comprend un partenariat intégral des Premières Nations dans l’économie. Ce sont des avancées vers une véritable réconciliation ainsi que des étapes menant à une nouvelle relation entre le Canada et les peuples autochtones se fondant sur le respect mutuel et la compréhension.

La réconciliation économique autochtone suscite la fierté des Autochtones par rapport à la propriété, à la constitution d’une nation et à la réalisation de soi, mais elle a aussi le potentiel pour le Canada de réduire les frais d’administration de programmes de lutte contre la pauvreté (et de l’utilisation de ces fonds pour le développement de la capacité économique), de contribuer au PIB et d’ouvrir de nouveaux marchés à des sociétés canadiennes qui profitent à toutes les communautés. Le Conseil de gestion financière des Premières Nations (CGF) a calculé que la valeur des revenus de bandes liées par la Loi sur les Indiens est de quelque 13,5 milliards de dollars. Cette somme correspondrait à la pointe de l’iceberg des possibilités.

En tant que chef de la direction du CGF – une organisation fédérale qui développe les capacités financières et administratives parmi les Premières Nations –, je me sens privilégié de jouer un rôle dans le changement monumental qui se produit dans des communautés des Premières Nations de partout au pays alors que nous nous engageons sur la voie de la réconciliation économique.

Les Premières Nations, les Inuits et les Métis revendiquent haut et fort leurs droits autochtones et titres ancestraux, revendications appuyées par une série de décisions de la Cour suprême. La DNUDPA indique noir sur blanc que les peuples autochtones canadiens doivent s’attendre à un consentement libre, préalable et éclairé avant que des activités économiques aient lieu dans leurs territoires traditionnels. La devise est : « Rien sur nous sans nous ».

Toutefois, l’affirmation de ces droits juridiques à elle seule ne permet pas aux peuples autochtones de s’engager complètement sur la voie de la réconciliation économique. Au CGF, nous constatons que de nombreuses Premières Nations trouvent qu’il est ardu d’analyser et de développer les possibilités économiques qui leur sont offertes, ou de mobiliser des capitaux à un niveau considérable à un coût raisonnable. Cela est en partie dû au fait que les Premières Nations n’ont pas les professionnels financiers, commerciaux et administratifs requis pour y arriver.

Les entreprises canadiennes doivent également surmonter des défis en matière de réconciliation économique. Sans l’établissement de relations respectueuses avec les peuples autochtones, les entreprises sont confrontées à une plus grande incertitude quant à la possibilité que des projets de développement dans les territoires traditionnels autochtones puissent aller de l’avant, être financés ou être assurés à un coût raisonnable. Les entreprises canadiennes ont besoin de plus de professionnels autochtones dans leurs rangs pour mieux s’engager dans la réconciliation, notamment en adoptant l’appel à l’action no 92 de la Commission de vérité et réconciliation, qui vise à créer des résultats commerciaux plus positifs qui profitent à toutes les parties.

Partout dans le monde, les marchés financiers, le commerce de détail et les grands investisseurs se concentrent de plus en plus sur des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, ainsi que sur le développement durable et les droits des Autochtones. Les investisseurs veulent en savoir plus et exigent davantage de responsabilisation pour les projets ayant lieu dans des territoires traditionnels des Premières Nations. Pourtant, peu d’organisations et d’individus peuvent combler le fossé entre les communautés autochtones, les organismes de réglementation, les entreprises et les investisseurs. Il est évident que la pénurie de professionnels autochtones freine la croissance économique du Canada.

Le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Colombie-Britannique savent qu’une partie de cette croissance implique la modernisation de politiques en matière d’autonomie gouvernementale, et finalement reconnaître le droit des peuples autochtones de développer leur capacité à assumer leur nouveau rôle en tant que troisième ordre du gouvernement. Toutefois, le manque de capacité professionnelle des gouvernements ralentit plus que de raison les efforts déployés pour mettre en œuvre la DNUDPA et pour favoriser la réconciliation économique.

Ainsi, toutes les parties – soit l’industrie, le gouvernement et les Premières Nations – doivent échanger dans la langue des finances et des affaires, en plus de comprendre les visées et les perspectives autochtones. Nous devons travailler rapidement pour développer cette capacité.

Avant l’époque de la traite avec les Européens, les Premières Nations avaient une économie sophistiquée qui se fondait sur les échanges commerciaux, ayant recours à des interprètes pour comprendre d’autres bandes et pour effectuer des transactions. À l’arrivée de la traite des fourrures, certains membres des Premières Nations ont appris à interpréter l’anglais et le français pour le compte de leur nation ou de la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Maintenant, nos nations ont besoin que leurs membres redeviennent des interprètes. Ces interprètes doivent parler différentes langues, notamment les langues des finances, de la comptabilité, de l’ingénierie et du droit. Nous avons besoin d’un afflux de gens d’affaires autochtones qui travaillent pour leur communauté, pour des entreprises canadiennes et pour le gouvernement.

Pourtant, les Autochtones n’occupent presque jamais des postes de direction et ne siègent que rarement à des conseils d’administration au Canada, ni dans le secteur financier ni dans des organisations financières du gouvernement.

Environ 5 % de la population canadienne est autochtone. Cependant, selon l’étude sur les pratiques de divulgation en matière de diversité qu’a menée Osler en 2020 auprès de plus de 200 sociétés publiques constituées en vertu d’une loi fédérale, les administrateurs autochtones ne représentent que 0,5 % des membres des conseils d’administration. Seules sept entreprises comptaient un directeur autochtone. La situation était encore pire pour les cadres supérieurs. Seules deux sociétés avaient au moins un dirigeant autochtone!

Nous avons besoin de plus de données, et de données de meilleure qualité. En me fondant sur des discussions informelles que j’ai eues avec des organismes professionnels voués à la réconciliation, le manque de professionnels autochtones au Canada est généralement marqué, particulièrement dans les domaines de la comptabilité, de l’assurance, de la gestion financière, de la gestion des placements et des régimes de retraite, des finances, de la conclusion d’ententes juridiques et de l’ingénierie. Par conséquent, peu d’Autochtones travaillent au bureau de direction d’entreprises de services professionnels, bien que certaines sociétés comme Deloitte mènent la charge avec un plan d’action visant la réconciliation.

Ces professions déterminent et mesurent le flux de capital dans l’économie canadienne. Comment pouvons-nous avoir une véritable réconciliation économique sans inclusion dans ces professions?

De même, dans les instances gouvernementales qui décident des règles économiques – organismes de réglementation financière et ministères des Finances – il y a peu de leadership autochtone visible. Avec peu de capacité commerciale autochtone, comment l’industrie et les ordres de gouvernement géreront-ils la transition vers la réconciliation économique?

Nous avons besoin de toutes les Premières Nations qu’elles aient une classe commerciale et financière autochtone professionnelle, afin qu’elles puissent profiter des grandes possibilités qu’offre la réconciliation économique.

À l’heure actuelle, 10,9 % des Autochtones âgés de 25 à 64 ans ont un diplôme universitaire, alors que cette proportion est de 29,3 % au sein de la population non autochtone. Les diplômés autochtones ont tendance à se concentrer dans des domaines comme l’éducation, le travail social, les études autochtones ainsi que le droit autochtone et les titres ancestraux. Il existe moins de modèles professionnels d’affaires dans les communautés autochtones.

Au CGF, nous contribuons au renforcement de la capacité comptable et financière des Premières Nations. Nous sommes témoin des problèmes qui existent dans les réserves en lien avec le manque de professionnels comptables autochtones. Nous constatons également le revirement complet de la situation qui a lieu dans les Premières Nations lorsque celles-ci peuvent se fier à un ou deux professionnels autochtones au sein de la communauté pour équilibrer le budget, pour se concentrer sur une bonne gouvernance ou pour concevoir et évaluer des ententes commerciales à leur profit.

Certaines Premières Nations bien gérées, comme Membertou au Cap-Breton, démontrent que la réconciliation économique est réalisable avec la création d’une équipe de professionnels autochtones. En effet, qui aurait cru il y a dix ans que des Premières Nations seraient des partenaires financiers majeurs d’une acquisition commerciale d’un milliard de dollars, comme le récent accord portant sur l’entreprise de fruits de mer Clearwater?

Alors, comment pouvons-nous faire avancer la réconciliation économique? Comment pouvons-nous assurer la présence d’un plus grand nombre de professionnels autochtones?

Récemment, j’ai été inspiré par des dirigeants comme Wes Hall et l’ancien premier ministre Paul Martin, qui nous ont montré quelques solutions.

Wes Hall, président du groupe de sociétés KSS, a écrit sur ses propres expériences avec le racisme au Canada, à la suite de la mort de George Floyd. Ses expériences ont frappé ses collègues du monde des affaires. Il a ensuite su mobiliser cette bonne volonté pour que des entreprises canadiennes appuient l’inclusion de Canadiens noirs par l’entremise de l’initiative BlackNorth.

En quelques semaines, plus de 300 PDG de banques, de fabricants, de sociétés d’État, de cabinets juridiques, d’universités, de producteurs de produits de consommation de marques populaires, de compagnies aériennes et d’entreprises de construction ont signé un engagement envers l’inclusion de Noirs. L’engagement comprend la promesse d’entretenir des conversations et d’offrir des formations sur le racisme systémique et sur les préjugés inconscients. De plus, il comprend l’élaboration de cibles d’embauche et de cibles au sein de la haute direction et du conseil d’administration pour les Canadiens noirs, en fonction de leur pourcentage au sein de la population, la collaboration avec les communautés noires pour créer des emplois et des occasions économiques, et l’évaluation de résultats tangibles et significatifs.

Quant à lui, Paul Martin, dont le gouvernement minoritaire a collaboré avec toutes les parties pour adopter la Loi sur la gestion financière des premières nations, qui a créé mon organisation, continue de s’engager à travailler avec les Premières Nations dans sa vie privée et selon ses disponibilités financières. L’Initiative de la Famille Martin (IFM) crée des occasions de mentorat et d’apprentissage pour des étudiants autochtones du secondaire et de jeunes professionnels dans des domaines comme l’entrepreneuriat, la comptabilité et le droit. Cette initiative aide à développer à la fois des professionnels des affaires autochtones et des exemples à suivre pour nos communautés.

En puisant une inspiration dans l’organisation de BlackNorth et dans l’IFM, je suis d’avis que le temps est venu de créer une coalition d’entreprises, d’établissements d’enseignement, d’ONG et d’organismes gouvernementaux afin de créer, d’embaucher, promouvoir et retenir un plus grand nombre de professionnels autochtones. BlackNorth nous a montré qu’il est possible de le faire.

Empruntons ensemble la voie vers la réconciliation économique.

Haii cho!

Cet article a initialement été publié dans la revue BarTalk de l’ABC-C.-B.