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Guerre commerciale : Comment parer les contrecoups

Les entreprises canadiennes feraient mieux de se préparer à une escalade du conflit commercial.

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Alors que la tension monte entre les États-Unis et la Chine, le Canada est pris « entre le marteau et l’enclume », selon une experte du droit commercial.

« À mes yeux, les États-Unis et la Chine sont en pleine guerre commerciale », soutient Me Cyndee Todgham Cherniak, fondatrice de LexSage Professional Corporation. « Nous en sommes à un point de l’histoire où les guerres ne se livrent pas toutes avec des mitrailleuses et des chars d’assaut. Les États-Unis et la Chine sont en guerre, et d’autres pays, comme le Canada, sont coincés entre les deux. »

Le président américain Donald Trump affirme que « l’avancement de la Chine se fera au détriment des emplois et des entreprises des États-Unis », poursuit-elle, ajoutant que les entreprises canadiennes devraient prendre des mesures pour parer les contrecoups de la guerre commerciale.

Le conflit entre les deux superpuissances internationales a fait les manchettes à la fin de l’an dernier, quand Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei Technologies, a été arrêtée pour fraude.

Les accusations qui pèsent sur Huawei portent principalement sur les liens qu’entretient le géant de la technologie avec le fournisseur de matériel de télécommunication Skycom Tech et avec Canicula Holdings. Selon les États-Unis, Huawei avait le contrôle de Skycom et s’en est servie pour vendre du matériel de télécommunication à l’Iran, violant ainsi les sanctions américaines.

La dirigeante chinoise a été appréhendée à Vancouver, à la demande de Washington, alors qu’elle faisait escale entre la Chine et le Mexique. Meng Wanzhou demeure à Vancouver, en détention à domicile, en attendant son audience d’extradition.

La participation du Canada a soulevé l’ire de Pékin, qui n’a pas hésité à exercer des représailles. Depuis décembre, deux Canadiens ont été arrêtés en sol chinois pour atteinte alléguée à la sécurité nationale, et un troisième, qui avait déjà été jugé et condamné à 15 ans de prison pour trafic de drogue, est maintenant condamné à mort à l’issue d’un second procès expéditif. Me Todgham Cherniak cite aussi en exemple des sociétés automobiles chinoises ayant annulé leur expansion prévue au Canada et des appels au boycottage de produits canadiens visant notamment le fabricant de manteaux haut de gamme Canada Goose.

« Ils disent que le Canada est un pays abominable parce qu’il a arrêté Mme Meng, explique-t-elle. Les entreprises canadiennes se trouvent donc entre le marteau et l’enclume sans avoir quoi que ce soit à se reprocher. »

Le boycottage des produits canadiens par la Chine n’est vraisemblablement pas un problème pour les États-Unis, d’après Me Todgham Cherniak. « Ils ne veulent certainement pas que les Canadiens tissent des liens avec des acheteurs et des importateurs chinois qui risqueraient de remplacer leurs homologues américains pendant que se joue cette guerre commerciale. »

Me Todgham Cherniak, qui vit à Toronto, décrit les sanctions économiques comme l’un des « quatre fronts » de la guerre commerciale sino-américaine, dont les répercussions se font aussi sentir au Canada.

Le deuxième front, selon elle, tient aux tarifs qu’ont imposés les États-Unis sur l’acier et l’aluminium – car ils craignent une surproduction en Chine.

« Depuis que de l’acier moins cher est disponible sur le marché mondial, des entreprises sidérurgiques américaines ont dû fermer leurs portes, et leurs ouvriers ont perdu leur gagne-pain. Trump veut donc remettre sur pied les entreprises du secteur de l’acier et de l’aluminium, et protéger les emplois. »

Les tarifs sur l’acier ont des conséquences majeures pour le Canada, qui exporte près de 90 % de son acier aux États-Unis, selon l’Association canadienne des producteurs d’acier. Une étude du Peterson Institute for International Economics conclut qu’il pourrait en coûter 4,2 milliards de dollars par année à l’économie d’ici.

Pour Me Todgham Cherniak, le troisième front serait les tarifs de l’article 301, qui ciblent toutes sortes de produits fabriqués en Chine.

Initialement, les tarifs s’appliquaient à une liste restreinte de produits et se chiffraient à 10 %, mais les États-Unis en ont étendu la portée et les ont élevés à 25 %.

« Comme les biens qui entrent aux États-Unis sont soumis à des tarifs accrus, ils coûtent plus cher, ce qui pousse les Américains à délaisser les produits chinois au profit d’équivalents de chez eux. Cette situation stimule la production, ce qui crée des emplois dans le secteur manufacturier et entraîne de ce fait des retombées dans le marché américain », explique l’experte.

« Si les produits canadiens en souffrent et si les entreprises canadiennes ferment, Trump semble se dire : “Ce qui nous importe, ce sont les emplois américains, alors tant pis pour le Canada” », ajoute-t-elle.

Me Todgham Cherniak décrit le quatrième front comme le « dossier du transfert de technologie ».

« Des sociétés américaines se font voler leur propriété intellectuelle par la Chine. C’est interdit, mais ça se fait, au vu et au su de tous », signale-t-elle. « Les États-Unis veulent que ça cesse. »

Et selon elle, la guerre commerciale « devrait nous inquiéter ».

Par exemple, les entreprises canadiennes qui exportent aux États-Unis doivent savoir qu’il est possible que ce pays déclare que leurs produits viennent en fait de Chine. « Qu’est-ce qui dit que le produit n’a pas été fabriqué en Chine, puis qu’on y a apposé un drapeau du Canada (ou l’inverse)? »

« Il est parfois très difficile de prouver l’origine d’un bien », renchérit l’experte. « Il y a des exigences de documentation qui nous obligent à prouver, soit à la Chine ou aux États-Unis, qu’un produit est bel et bien fait au Canada. »

Me Todgham Cherniak recommande aux entreprises canadiennes de « revenir sur les bases » pour s’assurer de respecter toute la réglementation et de faire rigoureusement toutes les démarches nécessaires afin que leurs produits puissent être importés dans les marchés chinois et américains.

« Il faut nous demander : “Faisons-nous tout le nécessaire pour que nos produits se rendent jusqu’à nos clients sans embûches?” », indique-t-elle.

Elle conseille aussi aux entreprises canadiennes d’éviter d’envoyer leurs employés en Chine, surtout s’ils emportent un ordinateur rempli de renseignements d’entreprise, qui pourrait être saisi par le gouvernement chinois.

« Et n’envoyez pas vos hauts placés, car ce sont des cibles d’importance », avertit-elle.

Selon Cyndee Todgham Cherniak, les Canadiens feraient mieux de se préparer à une escalade du conflit commercial. « Les choses vont empirer avant de s’améliorer. »