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Offres publiques d’achat en diminution

Est-ce le nouveau régime qui explique que les OPA se sont raréfiées?

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Il est peut-être un peu tôt pour tirer des conclusions définitives, « mais nous n’avons certainement pas constaté d’augmentation » du nombre des offres hostiles alors que les changements apportés au régime des offres publiques d’achat au Canada ont maintenant plus de deux ans, dit Jeremy Fraiberg, du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt à Toronto.

« Seulement cinq offres hostiles ont été faites en 2018, et trois en 2017 », dit-il. « Ces chiffres se situent en deçà des chiffres annuels relevés au cours de la dernière décennie. Le nouveau délai minimum de dépôt de 105 jours pourrait être l’un des facteurs qui expliquent le déclin. Le plus faible nombre de sociétés publiques et le ralentissement du rythme des activités du secteur des ressources pourraient figurer parmi les autres facteurs. »

De fait, la recherche effectuée par Kingsdale Advisors, un cabinet qui propose des services et des conseils aux actionnaires, révèle une diminution constante du nombre des offres hostiles sur plus de dix ans : on en comptait 24 en 2006. La diminution ne coïncide pas entièrement avec l’avènement du nouveau régime qui est postérieur en tous points à ce ralentissement du secteur des ressources. Pourtant, d’aucuns s’inquiétaient du fait que cela pourrait freiner les offres publiques d’achat au Canada, dit Me Fraiberg, et « c’est peut-être difficile à affirmer, mais les chiffres n’ont nullement réfuté cette théorie ».

Le régime a été modifié en mai 2016, lorsque les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié un Avis de modifications du régime des offres publiques d’achat visant à moderniser les règles qui régissaient les offres publiques d’achat au Canada. Les modifications incluaient une période minimum de 105 jours pour l’offre (un allongement considérable de la période antérieure de 35 jours), une condition d’offre minimale de 50 % et une prorogation d’au moins 10 jours après qu’il est satisfait à la condition susmentionnée.

Le régime d’offre publique d’achat modifié prévu dans l’instrument 62-104 - Offres publiques d’achat et de rachat (NI 62-104), a été adopté par toutes les provinces. La prorogation applicable à l’offre minimale a suscité des préoccupations selon lesquelles elle ne donnait pas suffisamment de temps aux conseils d’administration visés pour répondre à une offre hostile. « Le nouveau régime a pour objet de donner assez de temps aux conseils d’administration pour concevoir une véritable réponse à une offre », affirme Me Fraiberg. « Cependant, en allongeant le délai accordé à l’émetteur de l’offre, les coûts de financement et les risques liés au marché sont aussi accrus. »

Selon les Tendances à surveiller en 2019 publiées par Borden Ladner Gervais, les offres publiques d’achat hostiles se sont raréfiées, bien que la tendance à la baisse remonte désormais d’une dizaine d’années. « Les  offres hostiles n’ont pas pour autant disparu complètement sous le nouveau régime. Alors que les délais plus longs les ont rendues moins intéressantes à regarder, nous en avons constaté un certain nombre en 2018, y compris dans le secteur pétrolier, ce qui est une rareté dans ce domaine depuis toujours. »

Neill May, du cabinet Goodmans à Toronto, ne pense pas que le nouveau régime ait joué un rôle majeur dans le déclin des offres publiques d’achat depuis sa mise en œuvre. « D’autres facteurs jouent un rôle beaucoup plus important dans la détermination du degré d’activité quant aux transactions. Figurent parmi eux le coût du financement, d’autres considérations liées à la réglementation (telles que les investissements étrangers, l’antitrust et des paramètres spécifiques des secteurs donnés), le degré croissant de l’activité dans le contexte de l’activisme des actionnaires et des facteurs macroéconomiques, entre autres influences ».

Les nouvelles règles se sont traduites par d’importants changements pour les entreprises, dit Me May. « Ce qu’elles ont fait, à un degré élevé, c’est qu’elles ont substitué à l’ancien système constitué soit par des offres non sollicitées face à un régime de droits des actionnaires (qui se traduisaient inévitablement, en l’absence d’intervention, par l’interdiction d’opérations à l’égard du régime de droits des actionnaires), soit par des offres non sollicitées structurées de façon à demeurer ouvertes assez longtemps pour devenir des « offres permises », un cadre qui commémore la période de dépôt la plus longue. »

Et Me May d’ajouter : « À la base, cela a changé une partie du travail préparatoire effectué à l’égard de tous les aspects de la fusion et l’acquisition (réduisant l’accent mis sur le régime de droits des actionnaires, très manifestement). Cependant, de façon plus générale, cela n’a pas vraiment eu d’incidences majeures, du moins à notre avis. »

La première décision qualifiée de « pilule empoisonnée » à tester le nouveau régime d’offres publiques d’achat a été publiée en novembre 2017 après qu’Aurora Cannabis Inc. a présenté une offre pour CanniMed Therapeutics Inc. CanniMed a rejeté l’offre et a proposé une autre fusion avec la société de production de cannabis récréatif Newstrike Resources et puis a mis en œuvre une pilule empoisonnée. Le régime de droits des actionnaires de CanniMed permettait à ses actionnaires de se prononcer sur le marché avec Newstrike par voie de vote. Aurora a ensuite fait une offre publique d’achat hostile.

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et la Financial and Consumer Affairs Authority of Saskatchewan ont ordonné l’interdiction d’opérations de la pilule empoisonnée de CanniMed, la qualifiant de tactique défensive inappropriée. Les organes de réglementation ont déclaré que les régimes de droits des actionnaires tactiques « ne devraient généralement pas être utilisés pour établir que des initiateurs ont la propriété véritable d’actions assujetties à une convention de dépôt, dans des circonstances où ils ne seraient pas réputés être des personnes agissant de concert, aux termes des règles applicables ». Ils ont ajouté que « ce sera l’un des rares cas où il sera autorisé qu’un régime de droits tactique entrave les caractéristiques reconnues du régime d’offres publiques d’achat, telles que l’occasion, pour les initiateurs et les actionnaires, de prendre des décisions dans leur propre intérêt concernant le fait de céder leurs actions ou non en concluant une convention de dépôt du genre de celle dont il est question en l’espèce ».

Les actionnaires de Newstrike ont approuvé la proposition de fusion en janvier 2018 et le vote des actionnaires de CanniMed concernant le marché avec Newstrike a été différé en raison des négociations avec Aurora. CanniMed a renoncé à ses intentions d’acquérir Newstrike et Aurora a acquis CanniMed moyennant 1,1 milliard de dollars.

L’affaire Aurora/CanniMed peut nous apprendre beaucoup de choses, dit Michael Partridge, du cabinet Goodmans à Toronto. La décision « a démontré la tendance des organes de réglementation à autoriser le nouveau cadre à fonctionner tels qu’il a été conçu et la tendance opposée correspondante à ne pas autoriser les régimes de droits des actionnaires à changer le fonctionnement de ce cadre ou à rendre des ordonnances qui l’ajustent à certaines circonstances données. On aurait pu s’y attendre, car l’un des objectifs premiers des nouvelles règles semblait être de favoriser la certitude, et parce que les règles sont issues d’un long processus auquel ont participé divers organes de réglementation. L’accord de mesures d’allègement relèverait par conséquent d’un processus complexe et difficile à gérer ».

Me Partridge ne prévoit pas que le nouveau cadre ait de fortes incidences sur le nombre des offres publiques d’achat à l’avenir. « Nous avons constaté de longue date que les OPA [offres publiques d’achat] tendent à être cycliques. En ce moment, les fusions et acquisitions semblent être en veilleuse (au moins en ce qui concerne leur publicité) par rapport aux courses aux procurations. 

« En ce moment, les profits des sociétés semblent solides et le coût du capital est demeuré relativement stable, les conditions d’une augmentation pourraient donc être réunies. Cependant, faire des prévisions sur ce genre de sujet est bien au-delà des compétences de simples avocats. »