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Q & R avec Lisa Jackson

La vidéo au service de la justice.

Lisa Jackson
Lisa Jackson Photographie : Michael Labre

Le Code criminel exige que le juge tienne compte des facteurs culturels particuliers avant d’imposer une peine d’emprisonnement à un contrevenant autochtone, un principe confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gladue. L’Osgoode Hall a confié à LISA JACKSON, une anishinaabe, le mandat de réaliser des courts-métrages présentant le profil de contrevenants aux fins d’un projet pilote visant à aider les juges à décider d’une sentence appropriée. Mark Bourrie, de ABC National, a posé quelques questions à la cinéaste.

Pourquoi ajouter des vidéos aux rapports Gladue?

Osgoode Hall étudie en quoi la vidéo peut étayer – et non remplacer – les rapports produits au tribunal. Ces courtes vidéos-profils approfondiront la procédure Gladue en présentant la vie quotidienne du contrevenant, notamment son milieu, que ce soit en ville ou dans une réserve. J’ai assisté en cour à cette procédure, à Toronto, et j’ai été frappée par la difficulté pour le juge de se faire une idée juste du contrevenant, généralement très mal à l’aise dans la salle d’audience. Ces vidéos visent à présenter un portrait plus complet du contrevenant et de son milieu, ainsi que les ressources communautaires disponibles qui permettraient au tribunal d’envisager des solutions autres que l’emprisonnement. De façon plus générale, elles peuvent exemplifier le rôle constructif des supports visuels à la défense et ce que le système juridique y gagne, tout en faisant mieux connaître la procédure Gladue et l’expérience vécue par les Autochtones dans le système de justice. 

Que montreront-elles aux juges?

Les vidéos, qui dureront environ cinq minutes, présenteront un profil du contrevenant, dans un style de production simplifié comportant le moins de modifications possible, aucun élément musical, etc. Un procès porte sur l’acte criminel en question, alors que la détermination de la peine doit être adaptée non pas au criminel, mais bien à la personne dans son ensemble, et c’est ce que nous voulons montrer. Une image vaut mille mots : le seul fait de voir où et comment vit le contrevenant peut éclairer le juge. La vidéo comportera des entrevues avec le contrevenant, des personnes de son entourage, dont des parents et amis, ainsi que des professionnels du droit et des intervenants communautaires. Les rapports Gladue présentent la vie du contrevenant sous une dizaine d’angles différents, par exemple sa vie au pensionnat et dans le système de protection de l’enfance et d’adoption; c’est ce qui donnera des repères au tribunal. Certains rapports renferment des entrevues avec des anciens ou d’autres Autochtones parlant des méthodes traditionnelles de répression du crime, en vue d’informer le juge sur l’intégration des pratiques judiciaires autochtones à la peine imposée.

Comment vous êtes-vous préparée à ce projet?

Dernièrement, lors d’une table ronde réunissant des représentants de chacune des sphères du système de justice concernées par les affaires de type Gladue, nous avons tâché d’établir des protocoles concernant l’utilisation optimale des vidéos et le repérage des éventuels pièges. Nous espérons collaborer avec Aboriginal Legal Services of Toronto et des groupes analogues de l’extérieur de la région du Grand Toronto, afin de sélectionner les participants du projet pilote. 

Après le projet, continuera-t-on de produire ces vidéos?

Nous élaborons actuellement un concept qui permettrait de reproduire les vidéos à un coût raisonnable en temps et en argent. Nos protocoles pourront servir de gabarit. La technologie permet de produire ces vidéos rapidement et à peu de frais; on pourrait même se servir d’un iPhone ou d’un ordinateur portatif.

Quelles sont les principales contraintes du projet?

Le projet pilote ne porte que sur des contrevenants reconnus coupables d’un crime sans victime, dans des cas caractérisés par une certaine collégialité entre la Couronne et la défense, sans grand écart entre les peines proposées. Les vidéos sont produites avec le consentement du contrevenant, qui peut retirer ce consentement en tout temps. Elles pourraient aussi servir à des fins de formation judiciaire ou dans des initiatives didactiques plus générales, ce qui exigerait toutefois des solutions quant au consentement et à la protection de la vie privée des sujets. Nous n’en sommes qu’à la planification, et le tout n’est encore qu’une ébauche.

Pourrait-on voir des juges influencés de façon inattendue?

Nous produisons les vidéos; les avocats plaident en cour. Nous et eux créons un discours narratif. Les vidéos étant produites de façon très simple, avec le moins d’interventions possible, leur contenu sera clair et transparent. Lorsqu’il reçoit un rapport écrit, le juge doit, entre autres, décider des éléments pertinents et des éléments superflus, et il en va de même pour les vidéos. Il ne s’agit pas d’une création artistique, mais d’un document visant principalement à brosser un portrait fidèle du contrevenant et de son milieu de vie.