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Blogues juridiques : La nouvelle doctrine

C’est à juste titre que la jurisprudence récente a reconnu un statut doctrinal aux blogues juridiques.

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Les blogues juridiques sont-ils la doctrine de demain? La question posée il y a quelques années a reçu en 2018 une réponse sans équivoque par la Cour suprême du Canada et d’autres tribunaux : ils méritent le statut de source doctrinale.

Il est vrai que plusieurs décisions avaient déjà eu l’occasion de mentionner des blogues au cours des dernières années. Par exemple, Ablawg, de la Faculté de droit de l’université de Calgary est régulièrement cité depuis 2013, tandis qu’au Québec les cours et tribunaux font référence à des blogues depuis 2015 au moins.

En 2018-2019, on compte 12 décisions émanant des tribunaux canadiens qui se sont appuyées sur des billets de blogue en les considérant comme des sources d’opinions doctrinales, tandis qu’une seule décision leur a refusé ce statut.

Des expressions de reconnaissance…

Sur 12 décisions citant des blogues repérées, deux marquent un véritable tournant dans la reconnaissance de leur statut doctrinal.

Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)  la Cour suprême a consacré le blogue Administrative Law Matters en citant deux billets, l’un du professeur Paul Daly, l’autre de l’ancien juge Michel Bastarache. Dans ces motifs au paragraphe 37 par exemple, le juge Clément Gascon assimile nettement les billets de blogues aux publications doctrinales.

Dans Bell Canada v. 7265921 Canada Ltd., la Cour d’appel fédérale a cité pas moins de huit billets, la majorité provenant d’un symposium virtuel organisé quelques mois plus tôt par les professeurs Léonid Sirota et Paul Daly sur leurs blogues respectifs pour célébrer les 10 ans de l’arrêt Dunsmuir. Dans cette décision, c’est surtout le juge Marc Nadon qui assimile les blogues à la doctrine en citant indifféremment à l’appui de ses observations, des billets et des articles de revues juridiques, mais aussi en « citant avec approbation » certains passages d’un billet de Mark Mancini, intitulé « 10 Things I Dislike About Administrative Law ».

La Cour supérieure de l’Ontario, dans Apotex Inc. v. Abbott Laboratories, Limited, a elle aussi clairement reconnu le statut doctrinal des blogues en s’appuyant sur un billet du professeur Norman Siebrasse, spécialiste de droit des brevets.

… mais aussi d’absence de reconnaissance

Toutefois, dans Alberta Lawyers Insurance Association v Bourque, le juge Steven Mandziuk de la Cour du Banc de la Reine a refusé de reconnaître toute crédibilité aux billets de blogue. Faisant écho aux préoccupations du juge Robert Graesser, de la même cour, il souligne que le propre des publications universitaires est d’être soumises à l’évaluation des pairs, alors que les blogues ne le sont pas et ne peuvent donc avoir la même valeur persuasive.

L’absence de contrôle éditorial est un argument bien connu pour nier aux blogues toute valeur et pour nourrir la crainte d’y avoir recours. Pourtant, on ne le dira peut-être jamais assez : comme dans les revues, on trouve de tout dans la blogosphère, du bon, du moins bon, mais aussi de l’excellent. Il appartient cependant à chaque juriste d’apprécier au cas par cas la valeur informative et argumentative de chaque billet de blogue. C’est bien ce qu’a fait le juge en l’espèce, prouvant ainsi que l’évaluation par les pairs n’est pas toujours absolument nécessaire pour s’assurer de la qualité d’un écrit sur le droit.

Une conception élargie de la doctrine

Les professeurs sont les plus cités en tant qu’auteurs de billets de blogues, ce qui traduit la tendance habituelle à voir dans la doctrine essentiellement les écrits des professeurs dont c’est précisément le métier d’écrire sur le droit. Ainsi, en 2018-2019, c’est 11 billets de blogue d’universitaires qui ont été cités par les tribunaux.

Mais les billets écrits par des juges n’étaient pas en reste. Or c’est une première au Canada de voir des juges bloguer. Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), c’est un billet écrit peu de temps auparavant par le juge Bastarache pour célébrer l’anniversaire de l’arrêt Dunsmuir qui est cité. Dans 6819265 Canada inc. c. Tribunal administratif du travail, la Cour supérieure du Québec cite un billet du juge Louis Lebel publié sur  Administrative Law Matters. Dans Bell Canada, le juge Nadon avait évoqué un billet du juge David Stratas de la Cour d’appel fédérale, publié sur Double Aspect, ainsi qu’un billet du juge Joseph T. Robertson publié sur Administrative Law Matters.

Les billets écrits par des avocats ont été cités dans une moindre mesure. Peter A. Gall, avocat à Vancouver a été cité dans Bell Canada pour un billet publié sur Administrative Law Matters. Le blogue A bon droit, de l’avocat montréalais Karim Renno, a été cité dans le jugement Ville de Montréal-Est c. 2775328 Canada inc., rendu par la Cour supérieure du Québec.

Pour terminer, on notera que dans Bell Canada, trois billets de Mark Mancini ont été cités par la Cour d’appel fédérale. Or, bien qu’il s’agisse d’un auteur déjà prolifique, il n’est ni professeur ni avocat, mais étudiant à la maîtrise à l’Université de Chicago. Ce qui signifie que, pour les juges, la notion de doctrine est fondée sur des critères de qualité de l’argumentation et du raisonnement, de sérieux, de rigueur et non pas seulement sur des critères externes tels que les titres universitaires ou le respect des canons des publications académiques.

C’est à juste titre que la jurisprudence récente a reconnu un statut doctrinal aux blogues juridiques. La tendance à les citer devrait donc se confirmer à l’avenir, à condition, bien sûr, que les juristes canadiens continuent de publier dans la blogosphère un contenu de qualité répondant aux besoins de la pratique.

(Le présent texte est une version remaniée d’un billet initialement publié sur Juris Blogging).