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Diversité, démocratie et transparence

Les nouvelles règles du jeu pour les sociétés publiques canadiennes

Woman leading a boardroom discussion

À une époque où même les géants des cosmétiques lancent des campagnes pour plus de représentation féminine aux postes de leadership, la gouvernance des compagnies fait l’objet d’une attention particulièrement soutenue.

Le projet de loi fédéral C-25, qui devrait être sanctionné en mai, met en place des dispositions pour promouvoir la diversité et la démocratie corporative au sein des sociétés publiques, renforcer la lutte à la corruption et au blanchiment d’argent, et instaurer un registre des véritables actionnaires de contrôle pour les entreprises privées.

Le 10 avril, M. Mark Schaan, Directeur général, Innovation, Science et Développement Canada et Me Thierry Dorval, associé chez Norton Rose Fulbright sont venus en discuter à l’invitation du Comité égalité de l’Association du Barreau canadien, Division du Québec, représenté par Me Marie-Christine Hivon, aussi de chez Norton Rose Fulbright, qui a animé la discussion.

La diversité comme moyen d’atteindre ses objectifs stratégiques

Malgré les études prouvant une plus grande croissance et un meilleur rendement en capital des entreprises avec un conseil d’administration diversifié, les femmes et les personnes issues de groupes à la recherche d’équité continuent de plafonner. L’approche choisie par le gouvernement fédéral pour promouvoir la diversité au sein des C.A. est celle dite « se conformer ou expliquer » et non celle de quotas. « Ce n’est pas une question de checklist, c’est une question de culture », explique M. Schaan. Les compagnies devront fournir des données annuelles sur la diversité (femmes, personnes racisées, autochtones, personnes en situation de handicap) à leurs actionnaires, ou leur rendre compte de l’absence de tel rapport.

Le fait de définir la diversité selon ces quatre critères ne permettra plus aux organisations de se réfugier derrière l’affirmation d’une diversité « d’expérience » ou de « profil ». « On doit être prudent sur comment on définit la diversité, estime Me Dorval. Ce n’est pas 15 gars blancs de 55 à 65 ans qui viennent tous de Montréal et qui se disent  “ça nous prendrait quelqu’un de la Rive-Sud” ». Il note au passage la difficulté de recueillir ces données. Pour certains, notamment les personnes vivant avec des handicaps invisibles, l’autodivulgation reste un exercice vulnérabilisant.

M. Sheed ne pense pas que l’ajout d’autres diversités que celle de genre risque de freiner l’initiative de l’avancement  — trop lent — des femmes à la tête des entreprises. « Ce n’est pas mutuellement exclusif », dit-il. Surtout si on veut « éviter de remplacer un tas de vieux hommes blancs par un tas de vieilles femmes blanches ».

Démocratie corporative : le nouveau poids de l’abstention

Autre modification à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, en ce qui concerne l’élection des administrateurs, les votes d’abstention ne seront plus considérés neutres, mais seront considérés comme des votes contre, le tout pour encourager plus de participation. Quel est l’effet anticipé de cette mesure? Difficile à prévoir. « On a dit que les élections deviendraient peut-être plus contestées, dit Me Dorval, mais même en cette ère de médias sociaux, ça m’étonnerait que les administrateurs se lancent dans des grandes campagnes politiques ».

En ce qui concerne les votes et les décisions de gestion, les sujets qui préoccupent de plus en plus les investisseurs institutionnels, comme l’environnement, les sujets de société et la gouvernance (ESG), seront considérés dans l’évaluation de ce qui constitue le meilleur intérêt de la compagnie. « On se situe au-delà de la seule recherche de profit », dit M. Schaan. Comme pour la diversité, les dirigeants devront ainsi divulguer à leurs actionnaires les politiques mises en place pour protéger les intérêts des travailleurs et des pensionnés, ou s’expliquer sur l’absence de telles politiques.

Montages compliqués d’actionnaires de contrôle : bas les masques

Pour contrer l’évasion fiscale et le « snowashing » - l’utilisation de compagnies canadiennes pour blanchir de l’argent – les compagnies privées devront divulguer quels actionnaires détiennent 25 % et plus de leur contrôle effectif. Les banques devront détenir ces informations avant d’offrir des services. « On a appris des erreurs des autres juridictions, dit Mark Schaan. Au lieu de demander le ‘possesseur’, par exemple, comme au Royaume-Uni, et se retrouver avec une chaîne de 32 entités à remonter avant d’arriver à la personne physique exerçant le contrôle réel, on a juste demandé c’est qui la personne physique! »

Les deux panellistes admettent que la situation risque de causer quelques maux de tête aux sociétés. Quelles actions sont comptées dans le calcul du 25 %, qui est considéré comme détenteur du contrôle dans une fiducie… ce qui n’ébranle pas beaucoup M. Schaan. « Si tu vas employer un tel degré d’opacité, tu vas avoir des devoirs à faire pour nous prouver que c’est légitime ».

Grandes tendances en gouvernance

M. Schaan, pour qui le processus législatif est un exercice délicat de balance d’intérêts, est conscient que les nouvelles contraintes en ce qui concerne la diversité et l’équité pourraient pousser des compagnies à s’incorporer en vertu des lois provinciales. Il assume cette conséquence puisqu’il est question d’établir une norme internationale. En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, son équipe a passé deux ans à développer des normes communes avec ses homologues provinciaux, donc l’effet « dissuasif » est moindre.

Me Dorval pense que l’exigence d’une saine gestion des facteurs de risque d’avoir des répercussions sur la gouvernance de façon croissante, puisque les actionnaires s’en préoccupent de plus en plus. L’émergence de nouveaux risques géopolitiques, économiques et environnementaux ne fait rien pour freiner cette tendance. « Ce n’est qu’une question de temps avant que les sociétés ne soient rattrapées par ces risques ». Ce phénomène sera particulièrement intéressant à observer de l’angle des grands investisseurs institutionnels, qui demandent de plus en plus de comptes en matière de transparence, de cybersécurité ou d’environnement. « D’ici quelques années, on devrait voir davantage de gens qui seront poussés par les investisseurs institutionnels à être les watchdogs de certains sujets ».