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Il faut prioriser une plus grande place aux femmes dans l’espace public

Réflexions sur un mouvement en recul dans les Balkans.

Image de robes dessinées sur un mur

« Voilà maintenant 13 ans d’affilés que la démocratie recule. »  C’est le son d’alarme que sonnait cet automne le mouvement Kvinna till Kvinna, fondé pour soutenir les groupes de défense des droits des femmes dans les Balkans. C’est aussi la conclusion de leur rapport « Suffocating the Movement », qui lance une mise en garde. Un mélange de nationalisme, d’extrémisme et de valeurs conservatrices restreint graduellement l'espace réservé aux militantes et militants cherchant à faire avancer les droits des femmes. Critiquant ouvertement le règne de la peur et de la censure, la solution au recul de la société civile semble être claire pour toutes : le combat ne peut être gagné sans avant tout prioriser une plus grande place aux femmes dans l’espace public.

C’est lors d’un week-end de conférences tenues dans le cadre du BeFem Festival à Belgrade que j’ai pu apprécier toute l’importance du mouvement féministe dans les Balkans, et saisir les trois enjeux de taille auquel il est confronté.

En manque de ressources

Selon plusieurs activistes présentes, le système judiciaire demeure le meilleur outil afin de protéger les bases de la société civile. Cependant, dans un désir d’étouffer le mouvement, les projets de loi sont présentés en trop grand nombre aux assemblées, empêchant les organisations de la société civile (OSC) de conduire une révision exhaustive et de participer aux débats.

Or, trop souvent, une lecture attentive de ces lois adoptées à la va-vite, permet de desceller des clauses qui, lorsqu’appliquées, portent violence non seulement à la société civile dans son ensemble, mais affectent spécifiquement les femmes. Les OSC à vocation féministe, contrairement à leurs consœurs soutenant des missions différentes, se doivent donc de redoubler de vigilance. C’est notamment ce qu’elles ont fait cet automne en critiquant ouvertement la nouvelle loi sur l’accès à la justice adoptée par le gouvernement serbe qui, en réduisant la portée des OSC à fournir une aide légale, discrimine en réalité directement les femmes, premières bénéficiaires de cette aide.

De plus, en augmentant volontairement le nombre de projets de loi à être adoptés, les gouvernements cherchent à épuiser les ressources des OSC, incapables de suivre. Malheureusement, les défenseures des droits des femmes sont souvent victimes de cette insidieuse technique. Constamment obligées de contrer les persécutions au lieu de canaliser leur énergie sur leur réelle mission, les OSC à vocation féministe ne peuvent soumettre leurs recommandations à temps, affaiblissant la participation du mouvement civil en entier au débat.

Le rôle des medias

La discussion s’est également tournée sur l’importance d’une couverture médiatique honnête afin de faire tomber les préjugés et de souligner le rôle des femmes au sein des OSC. À l’heure actuelle, les acteurs de la société civile gardent volontairement le silence dans l’espace public par peur de représailles nourries par une couverture médiatique mensongère. Sans surprise, les OSC à vocation féministe qui cherchent à briser les normes patriarcales établies, revendiquant notamment le droit à l’avortement ou la place des femmes en politique, sont les premières victimes de cette propagation médiatique fallacieuse. 

Craignant les actes de violence à leur endroit, les OSC hésitent donc à posséder l’espace public. Les femmes se retrouvent au cœur de ce dilemme, où le désir de parler publiquement est grugé par la peur de voir leur intégrité physique attaquée, ou leur réputation salie. C’est par exemple le cas du mouvement féministe pacifique « Women in Black », qui, après avoir faussement été dépeint par les médias comme l’ennemi de l’État serbe, est maintenant victime d’une vague de haine à son égard et fait fréquemment l’objet de menaces.

En démonisant ainsi les OSC à vocation féministe, les médias réduisent les défenseurs au silence. Sans personne pour prendre leur place et défendre leurs droits dans l’espace public, ce ne sont pas que les femmes, mais le mouvement civil dans son ensemble qui se retrouve diminué, ébranlant du même coup les idéaux démocratiques d’une société ouverte et diversifiée.

Pour un financement plus transparent

Finalement, les institutions publiques doivent allouer un financement transparent afin d’éviter la désolidarisation du mouvement de la société civile et favoriser la diversité en son sein. La recrudescence d’organisations non-gouvernementales organisées par le gouvernement (ONGOG) réduit significativement l’espace public alloué aux CSO. Les femmes, premières victimes de cette violence politique, se retrouvent en compétition avec de fausses ONG qui, prétendant embrasser les revendications féministes, adhèrent en fait aux politiques gouvernementales et n’apportent aucune dissidence.

Naturellement, le manque de financement pour la société civile est fortement décrié par les activistes qui voit d’un œil mauvais l’augmentation de politiques nationales portant atteinte au financement international. Une telle dépendance économique à la simple volonté gouvernementale affecte particulièrement les OSC à vocation féministe. Ces dernières seront en effet rarement les premières à recevoir une part du maigre budget alloué, la priorité étant donnée aux organismes longtemps établis et à prédominance masculine.

Ainsi, un financement malhonnête anéantit la possibilité pour les groupes vulnérables, incluant les femmes, de poursuivre leurs missions et neutralise toute forme d’innovations. En faisant stagner le mouvement, cette discrimination affecte la société civile au complet qui, pour assurer sa survie et étendre son impact, nécessite d’être diversifiée et inclusive. 

Les détracteurs de la société civile ont donc incontestablement saisi qu’en attaquant spécifiquement la place des femmes dans l’espace public et en bridant la voix des OSC à vocation féministe, c’est la société civile en entier qui se retrouvait étouffée, muselée et divisée. Il est irréaliste de parler de son avancement sans y reconnaître le rôle primordial joué par les femmes. Conscientes d’être les seules à garantir la protection de leurs intérêts, les défenseures des droits des femmes s’organisent, se réunissent et n’hésitent plus à revendiquer sans complexe leur place au sein de l’espace public pour rayonner au-delà des Balkans.